Les compétences transversales : concept dépassé ou mal formulé?

« Mme Marois a-t-elle des convictions, dans la vie? »

C’est la question que pose Patrick Lagacé dans un billet où il traite des ex-politiciens. «La mère» de la réforme de l’éducation (c’est de Robert Bibeau) semble avoir retourné sa chemise sur l’à-propos de « ce qui permet d’apprendre à apprendre »; à moins qu’elle n’en n’ait que contre le langage utilisé pour décrire de quoi il s’agit ou contre le jargon technocrate? Allez savoir ce qu’elle avait réellement en tête… Un extrait rapporté par Tristan Péloquin de La Presse :

« Les « compétences transversales », je ne suis plus capable. Ce que les gens veulent, c’est qu’on montre à leurs enfants comment résoudre des problèmes, comment lire et écrire. Et c’est justement ce qui se passe dans les écoles. Alors, arrêtons de laisser dire les choses dans un jargon impossible »

L’action n’a pas manqué hier, sur la liste Édu-ressource, en lien avec un autre article du journaliste Poliquin qui découlait de la présence de Philippe Perrenoud et de Claude Lessard au même colloque que Pauline Marois. Il y est mentionné que le Québec et la Suisse ont les mêmes difficultés avec leur réforme scolaire et ce serait le résultat d’une « surévaluation du niveau de qualification des enseignants, de l’illusion d’un consensus général qui n’existe pas, de la trop grande complexité des programmes et des problèmes de pilotage politique ».

Mme Marois aurait cherché dans les documents de base qui ont mené à l’élaboration de la réforme et elle n’aurait rien vu qui parle de socioconstructivisme ou de l’approche suisse; elle en aurait «entendu parler pour la première fois il y a cinq mois», affirme-t-elle… Ce qui a rappelé à quelqu’un sur la liste de diffusion où ça discute fort que «les ministres de l’Éducation qui se sont succédé depuis plusieurs années, semblent avoir assumé dans le dossier de la réforme un rôle non pas de leader, mais de simple relationniste (source).

Je participe lundi à une rencontre qui porte sur l’élaboration des programmes au 2e cycle du secondaire et je ressens que le ministre actuel veut jouer un rôle plus actif dans le pilotage de ces changements. Je sais que les comités de parents veulent vraiment aller au fond des choses, eux aussi. Même les journalistes ont davantage à coeur d’équilibrer les points de vue, il me semble. Tout ça pour dire que les prochaines semaines seront intéressantes dans le dossier. Les négos ne sont plus là pour altérer les rapports de forces entre syndicats et patrons avec la réforme en otage dans le milieu. Un réel désir des représentants des enseignants de participer aux échanges de façon constructive en exprimant réserves et souhaits et un ministre qui ne voudra pas aller en élection sans réellement comprendre les tenants et les aboutissements de ces questions pourront peut-être permettre que l’essentiel émerge : que les élèves et les étudiants reçoivent la meilleure éducation possible et puissent apprendre comment savoir, comment savoir agir en plus d’intégrer des connaissances qui leur seront nécessaires pour devenir compétents et envisager de bien mener leur vie.

Et pouvoir le faire dans des écoles qui ont de l’âme

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22 Commentaires
  1. Photo du profil de ClementLaberge
    ClementLaberge 16 années Il y a

    J’ai lu sur l’intervention de Mme Marois. J’ai pris connaissance de plusieurs réactions. Et je trouve que nous sommes trop sévères avec l’ancienne ministre.
    Qu’elle n’ait pas été suffisamment « leader » de cette réforme. Qui sait? peut-être! Je ne sais pas. Je pourrai m’intéresser à cette question dans un autre contexte. Ce qui me préoccupe aujourd’hui, c’est que la présente réforme — tellement nécessaire — est malmenée. Terriblement malmenée. Et malgré nos efforts, nous n’arrivons malheureusement pas à éviter que les réactionnaires ne se fassent un injuste capital de communication dans la controverse.
    Les discussions sont de plus en plus polarisées, les arguments s’opposent de plus en plus fortement, se rencontrent de moins en moins et hormis les experts, les gens s’y retrouvent de moins en moins. Et, sauf exceptions, les médias n’abordent pas avec plus de sérieux et d’approfondissement les questions éducatives. On lit et relit trop souvent les mêmes approximations et les mêmes prétendues vérités scientifiques qui font abstraction de la réalité de la classe.
    Alors que Mme Marois accepte aujourd’hui, à l’occasion d’un discours, de replonger dans l’arène en réaffirmant sa conviction dans la réforme, mais en exprimant des doutes sur la manière qui a été choisie pour communiquer à son sujet, ça ne me choque pas. Je n’ai pas senti dans les propos de l’ex-ministre du mépris pour les pédagogues. Je n’ai pas senti de mépris pour les sciences de l’éducation. Je n’ai pas senti de négation du fait qu’il y a des réalités pédagogiques qui ont besoin d’être nommées, avec précision, par les experts du sujet. J’ai seulement ressenti l’exaspération d’une femme qui croit dans une cause et se désespère de constater qu’elle se bloque sur « une simple question de mots » (j’insiste sur les guillemets).
    Dans ce contexte, que Pauline Marois ouvre (adroitement? maladroitement?) un débat sur la « forme » de la réforme en insistant sur la nécessité de la poursuivre sur le « fond », qu’est-ce qu’il y a là de choquant? Et est-ce que ce n’est pas précisément une démonstration de ses convictions? Je trouve particulièrement injuste la question lapidaire de Patrick Lagacé. Qu’elle ait découvrir tout ce « jargons » et le « socioconstructivisme » qu’il y a cinq mois est un peu plus difficile à accepter, c’est vrai… il y a là quelque chose à déplorer.
    Bien sûr, j’ai déjà donné un coup de pouce à sa campagne à la chefferie du Parti québécois, sans être vraiment impressionné. Je peux même dire que j’avais été déçu, de l’organisation et de la réserve de Mme Marois à aller au bout de certaines idées. Mais cette fois, sans être d’accord sur toute la ligne, je pense qu’elle fait oeuvre utile en nous offrant un espace où le débat public sur la réforme pourra reprendre sur des bases un peu plus saines, un peu moins polarisées. N’est-ce pas un peu ce que nous avions tenté de faire avec jasonsreforme.qc.ca?
    J’ajouterai en terminant qu’il me semble qu’il faut se réjouir de constater que les anciens ministres de l’éducation pourraient en garder la « filiation », qu’ils aient envie d’y rester engagés. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons d’ailleurs.
    Et tant mieux si le ministre actuel veut jouer un rôle plus actif dans le pilotage de ces changements. Tant mieux!

  2. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    Je suis bien content que tu commentes Clément; je pensais à toi, tout particulièrement, pendant que j’écrivais. J’avais hâte de savoir ce que tu en pensais. Tu es une des seules personnes que je connaisse de près à avoir côtoyé Mme Marois. Je reconnais en toi le gars posé et «full disclosure» dans ta prise de position; j’apprécie. Mais je ne peux pas être d’accord avec toi.
    Pauline Marois n’ouvre aucun débat. Elle prête flanc à une remise en question de son réel leadership en tant que ministre de l’Éducation par cette sortie publique. Elle avait les moyens d’exiger que le MEQ (le MELS du temps) utilise un langage plus clair pour décrire les changements proposés. De plus, sa prise de position porte un dur coup au «apprendre à apprendre» par le floue artistique de son discours qui veut «faire tendance» en recentrant toute l’action sur le contenu explicite sans égard au processus d’acquisition. Comme il est mentionné au commentaire #3 du billet de Lagacé, on dirait qu’elle a voulu reprendre le dessus au niveau médiatique et faire croire que s’il y a eu dérape (et il y a eu), elle n’y était pour rien… étant contre le niveau de langage utilisé et/ou l’idée du «apprendre à apprendre». C’est trop facile Clément.
    Je vois bien qu’elle essaie de défendre les fondements des changements proposés et je lui en suis gré, mais «sa sortie» jette un certain discrédit sur l’enlignement de départ de toute l’opération et je ne peux pas croire qu’elle n’avait pas les moyens politiques de mener ça «à son goût» au temps où tout cela débutait. Même quand c’était François Legault qui était aux commandes, je suis sûr qu’elle avait l’ascendant pour encadrer ce qui se passait à l’époque.
    Je n’aime pas l’idée qu’elle se positionne comme une personne au jugement certain, «qui sait ce qui est correct dans cette opération de grande envergure», après avoir été à l’origine des premiers pas. L’accent exclusif sur les projets, l’utilisation d’un jargon douteux, la quasi-interdiction de partir des contenus… elle était en position de commande à l’époque pour «leader ça» à son goût.
    Elle me semble plutôt s’inscrire dans la tradition «belle-mère» du PQ qui démontre trop souvent en posséder plusieurs au sein du parti.
    Les discussions ne sont pas aussi polarisées que tu le ressens Clément. En tout cas, pas sur le terrain. Dans les écoles, on sait qu’on ne plus faire apprendre en ne contextualisant pas les tâches… Plusieurs communautés éducatives ont franchi le point de non-retour au niveau des changements de pratiques. De moins en moins d’enseignants acceptent de ne posséder qu’une stratégie pour faire apprendre. Plusieurs accommodements ont rassuré les gens au sujet du «apprendre à apprendre». Vraiment, j’ai peur que tu veuilles protéger Mme Marois là où il aurait fallu lui donner une tape sur les doigts.
    Elle doit être exaspérée. C’est bien possible. J’aurais apprécié qu’elle nous disent ce qu’elle aurait pu faire pour mieux lancer le bateau à l’eau, à l’époque. Si autant de personnes demandent des études sur l’à-propos du virage proposé, n’aurait-elle pas pu exiger dès le départ un quelconque mécanisme d’évaluation scientifique de l’opération.
    Je suis au front moi en ce moment Clément. Je côtoie régulièrement les enseignants et les parents dans les écoles. Je débats avec ceux qui s’offrent du «capital de communication» et je ne veux pas jouer au martyr (parce que j’aime ce que je fais et que j’y prends plaisir), mais j’étais directeur d’une école ciblée aux premiers pas de toute l’opération et j’étais de ceux qui réclamaient plus de clarté dans les communications et surtout, plus de prise de parole en public des officiers «en charge». La vérité, c’est que Mme Marois, comme bien des ministres, se servait du MEQ comme d’un tremplin politique davantage que d’un lieu pour vraiment montrer de quel bois elle se chauffe au niveau «agent de changement». Robert Bisaillon a fait ce qu’il a voulu sous son «règne» et Mme Marois a fait comme M.M. Legault, Simard et Reid : être en réaction. Hormi le dossier des commissions scolaires religieuses, elle n’a pas assumé son rôle de leader. Jusqu’à maintenant, je me plaisais à dire qu’elle était la seule vraie ministre de l’Éducation que nous ayons eue depuis M. Fournier. Cette prise de position me déçoit beaucoup; elle a semé le doute avec cette déclaration. C’est trop facile de jouer les gérants d’estrade. Elle est bien trop expérimentée pour ne pas mesurer l’effet de ce qu’elle a dit.
    Dans le style, j’aime pas mal mieux la mise au point de M. Inchauspé qui me semble toujours loger, lui, à la même enseigne… celle du temps. «Ça va prendre une génération avant qu’on en voie les vrais effets», a-t-il dit…
    Merci de ton commentaire Clément, mais je crois que Mme Marois continue d’avoir «des problèmes à aller au bout de certaines idées…»

  3. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 16 années Il y a

    Je vous lis, messieurs, et je hoche la tête de dépit…
    Pour vous expliquer mon état d’abattement, je vous raconte une anecdote survenue cette semaine. J’enseigne le français en cinquième secondaire. Lundi dernier, j’ai expliqué à mes élèves les attentes ministérielles en ce qui a trait aux critères de réussite en français de cinquième.
    Primo, il faut un minimum de 50% dans chacun des volets du programme (lecture, écriture et oral) et un minimum de 60% au total pour passer le cours. Pas trop de réaction de mes marmots.
    Secondo, si tu fais 35 fautes et plus de grammaire et d’orthographe dans un texte d’environ 500 mots (donc, une faute de grammaire ou d’orthographe aux 14 mots et ce, avec dictionnaire et ouvrages de référence), tu es automatiquement en échec. Là, la réaction fut immédiate!
    Je passe sur le vocabulaire employé par les élèves pour en venir à leur constat principal: pourquoi un tel seuil maintenant alors qu’il pouvait écrire une faute par mot auparavant?
    Certains se sentaient floués, d’autres avaient l’impression qu’on leur avait mentis pendant des années en les faisant passer malgré des lacunes qui vont peut-être maintenant les empêcher d’obtenir leur diplôme. Plusieurs enfin m’ont avoué qu’ils auraient travaillé davantage si on avait été plus exigeant avec eux auparavant.
    Réforme, pas réforme, anti-réforme, réactionnaire, je m’en moque. Le coeur de problème de la maîtrise insuffisante du français chez nos jeunes, c’est le manque de rigueur dans l’évaluation. Et là ou je crains la réforme, c’est qu’au niveau de la sanction des études, elle a l’air parti pour être aussi laxiste que le système actuel.
    Évaluation, messieurs, évaluation. Avec la pauvreté, la détresse humaine (rejet, famille éclatée, drogue…), voilà davantage pourquoi on échoue ou on décroche dans nos écoles. Le reste, c’est de la discussion que je qualifierais, sans vous offenser, de futile.

  4. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 16 années Il y a

    En passant, taper sur les profs est le nouveau sport national de ceux qui veulent expliquer l’échec de la réforme. Bisaillon l’a fait, Perrenoud le fait. À qui le tour?
    Il est si facile faire porter le blâme sur les autres après tout… Déjà qu’on a tassé dans un coin les représentants des profs sur la table de pilotage de la réforme…

  5. Photo du profil de ClementLaberge
    ClementLaberge 16 années Il y a

    Mario, ton commentaire m’étonne au moins autant que le mien t’a apparemment étonné.
    Précisons d’abord que je ne sentais pas du tout le besoin de protéger qui que ce soit. On peut donner un coup de pouce à quelqu’un à un certain moment sans s’engager à une loyauté infaillible. Et si j’avais cru qu’elle méritait une tape sur les doigts je ne me serais pas gêné pour le faire. Or, je ne pense pas que c’est le cas — d’où mon commentaire.
    Cela dit, je constate que nous n’avons pas dû lire de la même manière les déclarations de Mme Marois parce que je n’y ai pas trouvé de remise en question du « apprendre à apprendre », ni un « recentrage de toute l’action sur le contenu explicite sans égard au processus d’acquisition ». Pas plus d’ailleurs qu’un retour sur l’idée éculée que « la réforme c’est l’apprentissage par projet ». J’ai eu l’impression qu’elle avait su éviter ces quelques pièges. Il faudrait voir pourquoi tu as eu la perception inverse — je cherche le texte et je ne le trouve pas. Si je suis dans l’erreur sur ces points et que son intervention portait effectivement « un dur coup au apprendre à apprendre », je me rallierai évidemment à toi parce que je crois toujours (et plus que jamais!) à cette réforme. Je t’invite néanmoins à relire le texte de Tristan Péloquin pour voir si tu n’en aurais pas fait une lecture un peu trop rapide. Ou encore évitons le procès d’intention et vérifions si nous ne pouvons pas obtenir une meilleure transcription de son intervention.
    Tu me dis par ailleurs que les discussions ne sont pas aussi polarisées que je le ressens. Je veux bien le croire, et je me réjouis si c’est le cas et si les choses se sont quelque peu « tassées » depuis mon départ pour la France il y a un an. Mais franchement, vu d’ici le débat au Québec me semble toujours aussi polarisé et le débat français se polarise davantage tous les jours. Et cela m’inquiète beaucoup. Je suis évidemment très mal placé pour contredire ta perception, c’est vrai qu’en ce moment je suis un peu loin du terrain alors que tu es directement sur le front. Est-ce un point d’observation plus objectif? Je ne sais pas. Ils ont tous les deux leurs forces, leurs faiblesses, leurs « points aveugles » et leurs « effets déformants ». C’est bien l’intérêt de pareilles discussions, même (surtout!) quand elles nous opposent un peu plus que nous en avons eu l’habitude dans les dernières années! 😉

  6. Photo du profil de DidierDestatte
    DidierDestatte 16 années Il y a

    La terminologie…
    J’ai été impliqué dans la réforme du curriculum en Communauté française de Belgique. Bien entendu, la situation est très différente en Belgique puisque la liberté d’enseignement (liberté des méthodes) est garantie par la Constitution. Pas question donc pour le pouvoir subsidiant (la cfwb) d’intervenir directement dans le choix des méthodes, ni de façon centralisée, ni de façon (mais il existe des stratégies de contournement: évaluation centralisée, l’agrément de manuels scolaires, les formations obligatoires, etc).
    Nous avons eu la chance (? ;+) de devoir aborder cette réforme après le Quebéc et après la Suisse (romande): la création d’un programme basé sur l’acquisition de compétences posait de nombreux problèmes d’une part parce qu’il s’agissait d’une innovation, d’autre part parce, comme je l’ai entendu dire par B.Rey encore en 2004: « on ne sait pas vraiment comment les enfants développent des compétences »…
    Nos avons, à l’époque, retenu un modèle « socio-constructiviste » ou plutôt « socio-cognitiviste » comme modèle sous-tendant le programme d’études de l’enseignement primaire pour le réseau officiel subventionné. Nous étions très conscients alors de deux obstacles majeurs à cette réforme:
    – l’appropriation du modèle par les enseignants (l' »implantation »).
    – l’absence d’une position claire sur la relation entre savoirs et compétences.
    Si « développer des compétences » semble problématique au niveau primaire, que dire du développement de « compétences transversales »… Les socles de compétences (niveaux de compétences à atteindre définis par le pouvoir subsidiant) intégraient cette notion, nous l’avons donc répercutée (en limitant leur nombre sous des compétences transversales « génériques »).
    Les concepts de « savoirs déclaratif, procédural et conditionnel » ont été traduits par « savoir, savoir-faire, savoir être ».
    Nous voyons aujourd’hui une interrogation du politique sur la place des « savoirs de base » dans l’enseignement, en opposition, bien évidemment », au discours d’il y a quelques années sur les « compétences »…
    Quelques remarques:
    Si l’approche par compétences avait été abordée par la problématique de la « transférabilité » des savoirs, n’aurions-nous pas trouvé un meilleur écho dans le monde enseignant ? N’aurions-nous pas disposé d’un modèle, d’une large littérature scientifique ? Avant de vouloir installer la capacité de résoudre des problèmes à caractère complexe (inter/pluri/transdisciplinaires, intégrant des savoirs de différentes « natures », …), n’aurait-il pas été plus « stratégique » de repenser plus finement les savoirs à enseigner notamment en matière de pratiques sociales de référence ? (et, bien entendu, d’intégrer ceux-ci dans des réseaux conceptuels clairs (type objectifs-noyaux ?))
    Si le débat fait rage dans différents pays, cela ne souligne-t-il pas plutôt l’incompétence (;+) du pouvoir politique à donner les moyens de ses ambitions quant à l’implantation de pratiques ? Les enseignants (certaines évaluations le prouvent) font fort bien ce qu’ils ont appris à faire: enseigner des savoirs, comment espérer qu’ils apprennent à faire ce que personne ne sait (encore) faire ? Lorsque l’on dit « comment les enseignants s’approprieront-ils ceci ? on vous répond: « Il faut 25 ans pour implanter une réforme », mais 5 ans après les mêmes personnes vous disent, sur base d’évaluations » « la réforme ne donne pas les effets attendus »: je me marre…
    Le jargon n’est pas technocrate, un savoir conditionnel n’EST PAS un « savoir-être », remédier N’EST PAS réguler, enseigner N’EST pas apprendre, développer des compétences N’EST PAS (seulement) assurer le transfert, conceptualiser N’EST pas dire ce que l’on fait, etc La terminologie sert à décrire des pratiques, des objectifs qui sous-tendent celles-ci. Qu’un ministre chargé d’une réforme en éducation (les miens, les vôtres) disent « Le socio-constructivisme, je n’en n’avais jamais entendu parler », cela fait peur… :+) Par contre, tenter d’imposer des concepts comme « la compétences transversale » sans disposer de pratiques validées quant à leur développement, est tout à fait inutile…
    Implanter, ce n’est pas faire une « injonction », c’est convaincre, travailler sur les valeurs, sur le rôle de l’école, investir dans la formation, dans la collaboration entre les différents acteurs (chercheurs, enseignants, directeurs, politique, société civile, etc), ajuster, réguler, etc…
    La terminologie pédagogique ne sert effectivement à rien si on est incapable d’implanter (voire même de décrire) les pratiques pertinentes qui la sous-tend.

  7. Photo du profil de LucPapineau
    LucPapineau 16 années Il y a

    Messieurs, mon commentaire sera long et j’en suis désolé, mais les récents développements de l’actualité nous amènent à nous pencher sur des aspects politiques et pédagogiques de la réforme.
    Tout d’abord, j’ai lu le premier texte de M. Poliquin et j’en viens à la conclusion suivante: soit ce journaliste a mal traduit la pensée de Mme Marois, soit cette dernière est incohérente, soit elle prend ses distances de la vérité. En effet, que penser de la citation qui suit :
    «Moi, le socioconstructivisme et l’approche suisse, j’en ai entendu parler pour la première fois il y a cinq mois», affirme-t-elle.
    Ben voyons donc! Sur quelle planète vit-elle? A-t-elle lu les journaux au cours des dernières années? Le quotidien La Presse a même fait une série d’articles dont un avait pour titre: «Vos enfants font du socioconstructivisme, le saviez-vous?» Mme Marois fait preuve d’un manque incroyable de suivi de ses dossiers, messieurs! Il faut plus que le déplorer : il faut s’en scandaliser! Quelle crédibilité peut-elle avoir après un tel aveu? Poser la question, c’est y répondre.
    Par ailleurs, les commentaires de Mme Marois viennent appuyer fortement les propos de ceux qui affirment que la réforme a été détournée de ses intentions originelles par des «ogues» de tout acabit et l’opinion largement répandue que les ministres de l’Éducation ne sont simplement que les marionnettes des sous-ministres et des fonctionnaires du MELS.
    En fait, être ministre de l’Éducation est un poste prestigieux, mais qu’aucun politicien n’a su apprivoiser. On accepte généralement celui-ci que pour des raisons d’ambitions politiques et d’égo. Pas de hautes compétences pédagogiques. Ce n’est pas pour rien que neuf élus se sont succédé à ce poste en 14 ans. Même Jean Garon a avoué publiquement son ras-le-bol de ce ministère et de ces fonctionnaires! Et quand on connaît la pugnacité de M. Garon, on peut mesurer à quel point le MELS est une véritable torture. Pas étonnant si le ministre Fournier n’arrive pas à exercer un véritable leadership pédagogique! Les fonctionnaires l’ont «eu», simplement, disait récemment l’animateur radiophonique Paul Arcand.
    Par conclure sur ce premier texte, logiquement, Mme Marois ne peut endosser la réforme actuelle si elle a découvert, il y a à peine cinq mois, que celle-ci est de type socio-constructiviste, disons. Il y a comme un problème, une incohérence… Je termine cette première partie de ce billet en faisant référence à Alain Lefebvre, pianiste classique mondialement connu, qui expliquait la détresse des jeunes par le fait qu’ils avaient perdu toute illusion sur le sens de la vie avec tous ces politiciens qui trafiquaient si aisément la réalité. Décrochage scolaire? Décrochage tout court, oui!
    Par ailleurs, dans un autre texte. M. Perrenoud remet en question la compétence des enseignants pour expliquer les difficultés connues par la réforme :
    «la «surévaluation du niveau de qualification» des enseignants est «probablement l’explication la plus intéressante et la moins rassurante» pour comprendre le rejet des grands principes de la réforme.»
    Faut-il en déduire qu’en plus du Québec, la France et la Suisse n’ont, elles aussi, que des surévalués comme enseignants? À cet égard, comment qualifier ceux qui ont surévalué le niveau de qualification des enseignants? De gestionnaires ou de sociologues surévalués?
    Dans le même texte, M. Perrenoud me semble être un joyeux personnage délirant qui n’hésite pas à verser dans la démagogie la plus extrême en affirmant sans s’étouffer que:
    «Je suis aussi intimement persuadé que, malgré les consensus apparents, les parents des classes moyennes s’opposent aux réformes scolaires, parce que les changements qu’elles proposent profitent aux enfants des classes populaires, qui composent en grande partie les 25 % d’élèves qui ne réussissent pas à l’école. Les classes moyennes, en réalité, souhaitent une école élitiste plutôt que centrée vers la réussite.»
    Ben voyons donc! Quel véritable procès d’intention fondé sur aucun fondement sinon qu’une mauvaise foi évidente! Voilà donc que M. Perrenoud en vient à fabuler un Grand complot social contre la réforme! Les parents élitistes, sournoisement, afin de permettre à leurs rejetons de maintenir leur statut social, feraient tout en leur pouvoir pour la saborder. Il y aurait de quoi rire si on pouvait oublier que les travaux de ce sociologue ont servi à concevoir la réforme actuelle. Quant à moi, M. Perrenoud ressemble à un Gilles Proulx de la pédagogie avec de tels propos. Rien de moins. Et j’imagine que ceux qui ont loué (ou acheté) ses propos ne doivent pas la trouver bien drôle… Quand on a un tel hurluberlu à ses côtés, il ne faut pas s’étonner de voir des réactionnaires devant soi.
    Puisqu’on est dans les complots, j’ai des collègues qui affirment que la réforme a justement pour but des maintenir les avantages sociaux des élites en nuisant aux apprentissages des élèves défavorisés. Faudrait-il les enfermer dans la même cage que M. Perrenoud?
    Je vous rappelle que ce sociologue a réussi à écrire un texte il y a quelques mois pour expliquer les dangers qui guettent les réformes en éducation. Seulement, l’aspect rigolo de cette analyse, c’est qu’elle a été effectuée a posteriori, M. Perrenoud ressemblant plus à un médecin légiste constatant les causes d’un décès qu’à un véritable professionnel de la santé capable de bien guider une réforme majeure en éducation…. Évidemment, on s’en doutera, M. Perrenoud n’a pas ciblé les sociologues hurluberlus comme explication des insuccès des réformes pédagogiques.
    Finalement, en conclusion de ce deuxième texte, M. Perrenoud explique :
    «Malheureusement, pour expliquer ce qu’est la pédagogie différenciée et un curriculum par compétence, nous devons utiliser un langage qui est vite qualifié de jargon de spécialistes.»
    Faudra-t-il rappeler à M. Perrenoud ce mot de Pascal à l’effet que ce qui se conçoit aisément… Il s’agit pas de verser dans la simplicité, mais c’est Einstein qui disait que, quand une solution à un problème était compliquée, c’était qu’il ne s’agissait pas de la bonne solution.
    Maintenant, pour revenir sur cet échange de façon plus générale, je suis obligé de m’inscrire en faux quant à la position de M. Laberge et je me rapproche de l’intervention de M. Destatte. Il ne s’agit pas d’une simple question de mots. Ceux-ci désignent des réalités, des concepts différents. On ne peut niveler le débat comme ça. Mme Marois, en parlant de «gros bon sens» et de «gourou», emploie des termes très durs et non équivoques à l’égard de certains aspects de la réforme. Plus inquiétant encore, c’est que Mme Marois s’est attiré une salve d’applaudissements de la part d’une centaine de gestionnaires scolaires réunis en congrès lorsqu’elle a déclaré: «On ne peut pas utiliser un langage plus simple?»
    Enfin, quant au billet de M. Asselin dont je partage plusieurs des vues, je m’inquiète quand je lis Inchauspé. Une telle déclaration vient conforter ceux qui parlent d’une génération sacrifiée par la réforme. La mise en œuvre de cette dernière est de la responsabilité des gestionnaires, des fonctionnaires et des politiciens. Pourtant, comme c’est étrange, mais personne ne les blâme, eux…
    Perrenoud? Marois? Décidément, avec des parents comme ça, pas étonnant que la réforme ait autant de difficulté à survivre.

  8. Photo du profil de NormandPeladeau
    NormandPeladeau 16 années Il y a

    « A-t-elle lu les journaux au cours des dernières années? »
    En fait, j’irais plus loin. A-t-elle lu Vie Pédagogique, et la revue Virage (revue officielle de la réforme publié par le MELS). Déjà en mars 2001, Zone-Libre faisait un reportage qui établissait le parallèle entre ces deux réformes, et le MEQ de l’époque avait engagé comme consultants plusieurs experts genévois responsable de la rénovation.

  9. Photo du profil de NormandPeladeau
    NormandPeladeau 16 années Il y a

    Ah! Oui! J’oubliais! Legault, alors ministre de l’Éducation a clairement dit à plusieurs reprises dans ses discours et ses interventions que la réforme était « socio-constructiviste ».
    Quant à Zone Libre, on peux voir le reportage à partir de cette page:
    http://www.radio-canada.ca/actualite/zonelibre/01-03/reforme.html
    Je me réjouis personnellement de voir que Mme Marois exprime des réserves aujourd’hui sur le monstre qu’elle a enfanté (elle a l’excuse de ne pas l’avoir élevé).
    Je trouve un peu simpliste de la part de monsieur Laberge d’associer les gens contre la réforme à des réactionnaires (d’autres disent plutôt que nous sommes des traditionalistes ou que nous sommes opposés à tous changements). En fait, je dirais que la réforme a réussi à se mettre à dos, des traditionalistes, des progressistes, des gens de gauche et de droite et de nombreux experts en didactique et en pédagogie (on a qu’a examiner la liste des signataires de la lettre publiée en juin dernier pour s’en rendre compte)
    http://agora.qc.ca/ceq.nsf/Pages/Le_bilan_du_renouveau_pedagogique_ou_l_art_de_jouer_du_violon_quand_le_bateau_coule!
    Quant à moi, il ne fait aucun doute que des changements importants étaient nécessaires et que l’on devait travailler beaucoup plus à favoriser le transfert des apprentissages et mettre à profit les TIC. Mais si une réforme était nécessaire, ce n’était assurément pas celle-ci.

  10. Photo du profil de ClementLaberge
    ClementLaberge 16 années Il y a

    Je laisserai la discussion se poursuivre, ayant déjà exprimé ce que j’avais à dire sur le sujet, je précise toutefois, pour éviter toute ambiguïté, que je n’ai jamais prétendu que tous les opposants à la réforme étaient réactionnaires — mais certains le sont, certainement.
    Rappel de ma position sur le sujet ici:
    http://carnets.opossum.ca/remolino/archives/2006/08/with_us_or_agai.html

  11. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    Pour Clément,
    Voici l’extrait de l’article de M. Poliquin qui m’a fait croire que Mme Marois remettait en question le «apprendre à apprendre» : «Les “compétences transversales”, je ne suis plus capable».
    Voici celui qui me faisait penser qu’elle réduisait notre mission à l’école à l’acquisition de contenu explicite :«Ce que les gens veulent, c’est qu’on montre à leurs enfants comment résoudre des problèmes, comment lire et écrire.»
    Quant à sa position sur les projets, l’affirmation en fin d’article va dans le sens que tu dis Clément : «Qui a dit qu’on avait arrêté d’enseigner des contenus dans les écoles? Oui, il y a une méthode par projet, mais il n’y a pas que cela et il faut le rappeler. Il faut entendre les leaders d’opinion là-dessus.» Mon problème est que le leadership, elle aurait pu elle-même l’afficher en début de parcours sur cette question. Si autant de gens pensent que la réforme implique une pause dans l’enseignement des contenus, c’est justement parce que dès sa mise en oeuvre, trop d’importance avait été mise sur les projets, alors que cette stratégie pour faire apprendre n’est qu’une parmi tant d’autres. Je continue de croire que Mme Marois n’est pas bien placée pour faire la leçon du leadership dans ce dossier.
    Je ne veux pas présumer de ses intentions. J’imagine qu’elle a voulu donner un coup de pouce au renouveau auquel elle semble encore croire. Je veux bien me garder une p’tite gêne en attendant «une meilleure transcription de son intervention». M.M. Péladeau et Papineau rappellent qu’il y a de nombreux textes de références qui lui étaient accessibles dans les années où elle était au pouvoir où il est question de la Suisse et du socio-constructivisme. Comme moi (à l’intervention #1), tu affirmes que c’est «un peu plus difficile à accepter» que de dire qu’elle n’en avait jamais entendu parler avant cinq mois; ce qui est lourd de sens dans cette affirmation tient dans la distance qu’elle met entre ce qu’on vit et le socio-constructisme et la Suisse. Du coup, veut-elle maintenant dire que si elle avait su que notre réforme tient en haute estime le socio-constructivisme elle aurait agi autrement? Si elle avait su que des spécialistes de Suisse étaient consultés dans la mise en oeuvre, elle se serait interposée? Le texte ne dit pas ça, mais sa déclaration peut être interprétée dans ce sens et ça me dérange beaucoup de laisser cet espace dans la communication.
    Je te sais ouvert à la discussion (tu l’as prouvé à chaque fois que j’ai échangé des points de vue divergents avec toi). Je sais aussi que tu ne considères pas tous les gens que la réforme laisse froids comme des réactionnaires. Mais il me faudra une transcription très loin de ce que rapporte l’article pour que je vois dans l’intervention de Mme Marois une bonne nouvelle pour le renouveau. Va pour la dénonciation du jargonnage. Va pour une meilleure légitimité au contenu. Je prêche moi-même dans ce sens, je ne peux qu’être d’accord. Quand elle attaque la valeur des convictions de M. Fournier (elle ne sent pas que l’appui à la réforme que donne actuellement le ministre est ferme?!?), est-ce qu’elle fait preuve elle-même d’un comportement responsable dans la mesure où il est le mieux placé actuellement pour afficher du leadership. Je sais bien qu’elle n’est pas de la même allégeance politique, mais s’aurait été un beau geste que de reconnaître quelques bons coups ou, à tout le moins, se souvenir que le devoir de réserve, ça existe encore…
    Je vais moi aussi laisser la discussion évoluer, s’il y a lieu. Je remercie M. Destatte de son intervention et j’invite les lecteurs à cliquer sur son nom, car le contenu derrière le lien est fichtrement pertinent dont un texte de Steve Bissonnette et Mario Richard qui s’intitule «Comment construire des compétences en classe ?».
    Je reviendrai peut-être avec d’autres commentaires…

  12. Photo du profil de NormandPeladeau
    NormandPeladeau 16 années Il y a

    J’ai bien apprécié votre intervention Monsieur Destatte. Vous soulevez des points fort importants. Je crois que monsieur Rey a en partie raison lorsqu’il dit qu’on ne sait pas trop comment développer des compétences. Une partie de la réponse se trouve effectivement dans les études sur le transfert d’apprentissage. Mais encore faut-il qu’il y avoir accès, et la barrière de la langue semble être important pour beaucoup de francophones. J’ai fortement critiqué par le passé, le traitement que faisait Bernard Rey de la notion de transfert dans son livre « Les compétences transversales en Question ». En fait, celui-ci faisait référence aux études anglo-saxonnes, mais, uniquement à partir d’ouvrages francophones rapportant ces études, avec pour résultat de souvent de rapporter des conclusions déformées. J’ai applaudi cependant les constats qu’il a faits en 2001 lors d’une étude sur le développement d’épreuves pour l’évaluation des compétences. Il affirmait dans son rapport:
    Il y aurait là, si elle était confirmée par une étude sur un échantillon plus large, une indication d’un intérêt pédagogique majeur : pour pouvoir aborder des situations nouvelles et complexes, il faut nécessairement avoir automatisé (en arithmétique, dans le domaine de la langue, de l’écriture, etc.) un certain nombre de procédures de base.
    Malheureusement, son manque de familiarité avec la littérature anglo-saxonne sur le transfert (c’est mon hypothèse) ne lui permettait sans doute pas de savoir qu’il s’agissait non pas d’une hypothèse à confirmer, mais d’un phénomène fort bien démontré par ces études en question. Je constate que mes propos à ce sujet ont eu un certain écho en Belgique chez des auteurs comme Payser, Gerard et Roegiers (http://www.bief.be/enseignement/publication/textbook.html).
    Je pense également que l’on retrouve dans la littérature scientifique anglo-saxonne beaucoup d’information sur comment se développent les compétences, mais également beaucoup d’information sur comment elles ne se développent pas. Beaucoup de chercheurs cognitivistes ont en fait tenté de développer des compétences en travaillant directement au niveau de ces compétences, ce qui semblait logique, mais également potentiellement plus prometteur (et efficient) que de travailler à un niveau inférieur. C’est ce que cherchaient à faire les cognitivistes qui tentaient de développer des habiletés génériques de résolution de problème (le projet du « general problem solver » de Simon a contribué à ces efforts), de développer l’esprit critique, mais également de favoriser les compétences de haut niveau en analysant les performances des experts et tentant de reproduire chez les novices ces comportements d’experts. Après de nombreuses années de recherches, beaucoup sont arrivés à la même conclusion: il est illusoire de faire travailler les élèves au niveau de la compétence en espérant favoriser l’acquisition de ces dites compétences. Ces compétences sont en fait le résultat d’un long processus d’apprentissage et non pas quelque chose que l’on peut enseigner directement. On pourrait résumer en disant qu’ils sont arrivés à la conclusion suivante: « there is no shortcuts in education ». Ils ont appris de leurs échecs répétés.
    Malheureusement, beaucoup de pédagogues persistent à croire à cet Eldorado, et cette notion de compétences transversales relève, selon moi, de cette idée, en apparence fort raisonnable, qu’il est possible de trouver un raccourci permettant d’assurer plus de transfert et d’atteindre des niveaux de compétences plus élevés, plus rapidement. Perrenoud, dans un de ses ouvrages, faisait la proposition que pour favoriser le transfert, il suffisait de mettre les élèves, de façon répétée, en situation où ils n’auraient d’autre choix pour réussir une tâche, que de transférer. En pratiquant ainsi le transfert, ils deviendraient meilleurs à transférer. Pour quelqu’un qui ne connaît pas les recherches sur le transfert, cela peut sembler avoir du sens. Mais les experts sur cette question vous diront que cette idée est totalement naïve et cette tentative vouée à l’échec, puisque le transfert n’est pas une habileté que l’on peut entraîner directement, mais un phénomène qui résulte d’un processus d’apprentissage (c’est le résultat du processus et il est illusoire de vouloir atteindre le résultat sans passer par ce processus). Ce serait merveilleux s’il en était autrement, mais les compétences nécessitent l’acquisition d’une grande étendue de connaissances (déclaratives, procédurales et conditionnelles), des pratiques répétées dans des contextes variés de ces connaissances pour assurer à la fois la rétention (ou mémorisation) de ces connaissances, leur automatisation pour favoriser leur mobilisation dans des situations complexes, et leur transfert, élément essentiel dans la performance dite « compétente ». C’est, il me semble, une des grandes leçons qu’ont tirées les chercheurs en psychologie cognitive de plusieurs décennies de recherches, idée d’ailleurs déjà acceptée et comprise par beaucoup de behavioristes en éducation et par des gens comme Bernard Bloom et Sigfried Engelmann.
    L’idée de « faire travailler au niveau des compétences » est dangereuse parce qu’inefficace. Nous sommes tous d’accord pour vouloir développer des élèves compétents et je suis d’accord avec l’idée d’une pédagogie devrait ultimement être orienté vers ce type d’objectif. Mais comme je l’ai déjà dit à de nombreuses reprises, si nous sommes tous d’accord avec cette idée d’une « pédagogie POUR des compétences », l’idée d’une « pédagogie PAR compétence » ne fait pas de sens parce qu’elle produit l’effet contraire: des élèves moins compétents. Les recherches et les données semblent nous donner raison.
    P.S. Si comme je l’ai dit, j’ai bien apprécié vos positions, j’ai cependant beaucoup de réserves avec cette affirmation « Les concepts de « savoirs déclaratif, procédural et conditionnel » ont été traduits par « savoir, savoir-faire, savoir être ». Je ne comprends vraiment pas comment on peut traduire les uns par les autres. mais surtout, je trouve ces derniers concepts beaucoup plus flous.

  13. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    Quel travail de Martine St-Germain!
    La lecture du billet sur la conférence en duo entre Mamadou Ndoye du Sénégal et Pauline Marois du Québec (qui se trouve à être le point d’origine de ce billet) donne un autre éclairage à l’article de M. Poliquin. On voit mieux que Mme Marois a voulu montrer que le modèle suisse et le socioconstructiviste ne faisaient pas partie des bases qu’elle avait vu dans la réforme. Ça n’excuse pas sa maladroite citation («Moi, le socioconstructivisme et l’approche suisse, j’en ai entendu parler pour la première fois il y a cinq mois»), mais ça cadre ce qu’elle semble avoir voulu dire…
    J’aimerais bien que Mme St-Germain vienne commenter, si elle passe par ici.

  14. Michel Le Neuf 16 années Il y a

    En politique, hier ne vaut que ce qu’il pèse dans la boîte de scrutin. Or, on est en plein débat politique. Ce matin on lisait dans le Devoir que la FSE voulait faire du Renouveau pédagogique un enjeu électoral. Je pense qu’on est déjà là, n’en déplaise à Mme Fortier, elle s’est fait « scooper ». Ce matin, le ministre va sortir avec une déclarartion, c’est sûr. Des annonces. Il n’a pas le choix. Avec des élections en vue, le PM a sûrement passé le message: réagis mon Jean-Marc, reprends le contrôle du jeu ! Et je crois bien que c’est qu’il doit faire. L’avenir à très court terme nous le dira.
    Bon j’écris ça, comme j’ai écrit le reste. Nul n’est prophète. Mais mon flair me trompe rarement.

  15. Michel Le Neuf 16 années Il y a

    Demain, il y aura encore des socioconstructivistes, des behavioristes, des tenants de l’enseignement explicite. Il y aura encore des éducateurs libertaires et aussi des traditionnalistes, Il y en a qui vont s’enflammer pour la lecture syllabique, d’autres pour les approches gloibales. Mais au bout du compte, ceux qui auront droit à une place dans la lumière, ce sont ceux à qui le pouvoir tendra la main. Les constructivistes vont continuer de se voir dans la continuité historique du rationalisme de Platon, et trouver dans cette filiation une justification historique. Les autres vont se réclamer de l’emprisme d’Aristote et rien ne va se régler. Enfin, qu’auraient été Michel-Ange et Léonard sans les l’or des mécènes?
    Non, moi j’invite les éducateurs à tourner le dos à ce jeu disgracieux, à prendre le maquis, et à se concentrer sur ce qu’ils savent le mieux faire: faire apprendre. En politisant le débat, on a fait entrer le loup dans la bergerie. Regarder avec la lecture en France: c’est ce que ça donne quand on laisse les politiciens faire le travail à notre place.

  16. Photo du profil de DidierDestatte
    DidierDestatte 16 années Il y a

    « j’ai cependant beaucoup de réserves avec cette affirmation « Les concepts de « savoirs déclaratif, procédural et conditionnel » ont été traduits par « savoir, savoir-faire, savoir être ». Je ne comprends vraiment pas comment on peut traduire les uns par les autres. mais surtout, je trouve ces derniers concepts beaucoup plus flous. »
    Moi non plus :+))) C’est un renoncement…
    La création du programme oblige à des choix. Une difficulté au niveau de la formation en cours de carrière, c’est qu’elle ne peut se substituer à la formation initiale. On présuppose l’appropriation par les enseignants de concepts et pratiques sans leur donner (ou si peu) les moyens de leur appropriation. Ainsi des termes issus du « jargon pédagogique » sont restés, d’autres ont été « inventés », d’autres encore ont été réutilisés parce que l’on savait que JAMAIS les enseignants ne s’approprieraient le modèle cognitiviste… C’est un deuil résultant de négociations….
    Nous avons retenu par exemple la notion de « situation mobilisatrice » pour ne pas renvoyer à au concept de « situation problème » qui renvoyait lui même à une littérature abondante. Comme praticiens, il ne nous semblait pas « raisonnable »‘ de pouvoir aborder l’ensemble des notions à travers les méthodologies de la situation-problème. Le terme « mobilisatrice » nous semblait pouvoir laisser l’initiative aux enseignants.
    En cela, je reste en accord avec P.Perrenoud lorsqu’il évoque le niveau de professionnalisation des enseignants comme obstacle à la réforme. Cela ne veut pas dire que ce soit de la « faute » des enseignants. Je ne sais pas comment se déroule pratiquement l’implantation de la réforme au Québec mais la mise en oeuvre d’un dispositif de formation parle d’elle même: en Belgique francophone, il y a environ 35000 enseignants au fondamental. Si l’on réalise des groupes de formation de 20 personnes, cela fait 1750 groupes. En considérant que 3 jours (!) de formation sont nécessaires pour apréhender un nouveau programme et les méthodologies qui le sous-tend, on obtient 5250 jours de formation. Reste à trouver des formateurs AVEC DES pratiques convergentes ET des pratiques de formation… ou alors, on fait comme d’hab, on « explique » aux autres comment faire ce que l’on ne fait pas soi même tout en s’étonnant que les pratiques (lesquelles ?) ne s’implantent pas… On a l’enseignement qu’on mérite…
    Je voudrais également signaler deux choses:
    Nous avons voulu immédiatement associer à nos travaux des didacticiens disciplinaires ou des « spécialistes » des disciplines pour permettre un cadre, une articulation entre savoirs et compétences, une hierarchisation fonctionnelle des savoirs. Cela n’a pas été possible pour des raisons budgétaires mais la volonté était là BIEN AVANT le débat sur la place des savoirs…
    Les praticiens SAVENT que l’automatisation d’une procédure est nécessaire à « la mise en oeuvre » d’une compétence. La question essentielle pour nous est de savoir si – autant que possible – cette procédure gagnerait à être contextualisée dans un contexte signifiant pour l’élève (je n’ai pas dit « fonctionnel »). Pour nous, la réponse était oui. Ce qui ne rejette en rien l’acquisition de savoirs décontextualisés si ceux-ci ne peuvent être contextualisés.
    Je continue à suivre attentivement les débats sur le sujet au Québec, en Suisse et en France. C’est comme lire dans l’avenir de ce qui nous attend ici, en Belgique.
    Merci à vous tous donc.

  17. Photo du profil de NormandPeladeau
    NormandPeladeau 16 années Il y a

    « C’est comme lire dans l’avenir de ce qui nous attend ici, en Belgique. »
    Hum! J’espère sincèrement que vous saurez éviter les nombreuses erreurs qui ont été faites ici par les autorités scolaires et que vous ne vivrez pas comme nous, une baisse aussi marqué des résultats scolaires des élèves.

  18. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    «En cela, je reste en accord avec P.Perrenoud lorsqu’il évoque le niveau de professionnalisation des enseignants comme obstacle à la réforme. Cela ne veut pas dire que ce soit de la « faute » des enseignants.»
    Ça fait sept ans que le train de la réforme au Québec a été mis sur les rails. Force est d’admettre qu’il roule avec bien peu de gens dans les wagons. Quelques observateurs n’ont pas le goût d’embarquer, même quand il est en gare. Certains ont un porte-voix et clament qu’il ne faut surtout pas… Le wagon de tête des promoteurs et autres «early adopters» comprend des personnes qui ont réalisé qu’ils ne feront rien seul (et il commence à être temps!). Le train de mesures ne fera pas son chemin sans accompagnement et sans que les leaders viennent chercher les passagers là où ils sont en action, dans les classes et dans les écoles. Je suis de ceux qui croient à l’hypothèse que plusieurs enseignants ne se sont pas approprié la réforme sans que nécessairement, ce soit leur faute. Alors, s’il y a une baisse aussi marquée des résultats scolaires des élèves (ce qui reste à prouver «dans mon livre à moi»), je ne crois vraiment pas que la réforme soit en cause.
    Je passe beaucoup de temps avec des enseignants du primaire et du secondaire et presque partout où j’arrive, on me dit qu’il y a eu peu ou pas de formation jusqu’à maintenant. Je ressens un fort intérêt (malgré ce que je lis à travers les médias) des gens que je rencontre, incluant des parents aussi. Je suis surpris à chaque fois de la curiosité et de l’ouverture des gens avec qui on me demande de travailler dans le contexte des positions syndicales (certains syndicats, en fait).
    Quand les changements proposés par la réforme auront vraiment pénétré dans les écoles, je commenterai les baisses de résultats… s’il y en a. Avec ce que j’ai observé dans l’école que je dirigeais et les témoignages subjectifs entendus aujourd’hui et dans le passé, je sais que les probabilités sont fortes que ça ne se produisent pas. Je ne demande à personne de me croire. Je ne fais que rapporter mes convictions. Ça n’a aucune valeur particulière… sauf dans la tête de ceux qui apprennent à mon contact, j’imagine
    Le «fun» qu’il y a avec les apprentissages, c’est que quand on n’apprend rien, on le sait. Le «fun» qu’il y a avec les apprentissages c’est que quand on apprend, on le sait aussi. Et dans les deux cas, ça ne prend généralement pas longtemps avant que ceux qui ont comme objectif d’apprendre se manifestent pour nommer où ils en sont. Parfois, il faut décoder un peu, mais je suis toujours frappé par la rapidité des jeunes et des adultes d’aujourd’hui à le dire quand ils s’emmerdent ou quand ils «tripent ». En tout cas, moi j’ai ça dans la face depuis vingt-quatre ans et ça me sert. Je veux bien considérer le reste, la littérature et les recherches… ça m’aide à trouver d’autres pistes, d’autres chemins quand ça ne marche pas mon affaire. Quand j’arrêterai de fréquenter les apprenants, j’ai bien peur que je serai plus perméable à toutes les théories sur comment on apprend. Pour le moment, «le terrain» me nourrit et m’aide à garder mes reprères!

  19. Photo du profil de FrancoisGuite
    FrancoisGuite 16 années Il y a

    Désolé d’intervenir si tard dans la discussion, pour appuyer l’opinion de Clément relativement à la déclaration de Pauline Marois. Je m’explique plus longuement sur mon mon blogue : http://www.opossum.ca/guitef/archives/003393.html

  20. Photo du profil de DidierDestatte
    DidierDestatte 16 années Il y a

    « une baisse aussi marqué des résultats scolaires des élèves. »
    J’ai des souvenirs très précis d’avoir rencontré des (2) équipes universitaires juste AVANT la conception du programme. C’est dingue comme ils étaient peu intéressés à PARTICIPER à l’élaboration de celui-ci.
    Par contre, en matière d' »évaluations » (de l’implantation, des performances), il y avait foule au portillon…
    En matière d’évaluations (et je ne suis pas CONTRE !), la confrontation entre concepteurs d’universités différentes (en matière de « familles de situations », d’indicateurs statistiques) ne m’incite pas à prendre pour argent comptant les conclusions de celles-ci, même si je n’ai pas toujours les moyens (connaissances en docimologie & en statistiques) de contre-argumenter face à ces « spécialistes ».

  21. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 16 années Il y a

    En ajout au billet de François dont il est question au commentaire #20 (Le jargon de la réforme qui est rendu à dix-huit commentaires au moment où j’écris ceci), j’aimerais citer cet autre, «Le point sur la réforme» qui a aussi provoqué de bons échanges (dix commentaires).

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