Jeux de mains, jeux de vilain?

Le dossier sur le jeu en classe est maintenant en kiosque aux Cahiers Pédagogiques. Je publie sous l’hyperlien plus bas mon texte qui consiste en une sorte de relecture des vingt-cinq textes du dossier.


Jeux de mains, jeux de vilain?
L’équipe de la rédaction des Cahiers me renvoie la balle au-dessus du filet de l’Atlantique dans l’espoir qu’elle revienne, « marquée » d’une relecture originale pour ce dossier sur le jeu en pédagogie. Depuis le temps que je souhaitais en découdre avec ce sujet…
Je sors de ces échanges qui comportent vingt-sept réparties beaucoup plus avancé que je ne l’étais. Mon propos ici risque de ne pas s’avérer très sérieux puisque j’écris, animé du sentiment « des bons élèves » de Philippe Meirieu . J’ai cheminé dans ces exercices de lecture comme dans un jeu, y éprouvant « un vrai plaisir ludique ». Je me sens comme l’élève que Claude Nachon décrit ; en récompense de l’effort d’avoir lu, je demande : «Quand est-ce qu’on joue pour que je puisse montrer ce que j’ai appris pendant ma leçon ?»
Le jeu motive
Comme l’affirment Patrick Lebigre et Fabienne Ledys, je suis parti du principe que « le jeu est mal vu à l’école » et que la preuve de sa pertinence en classe est à démontrer. Bien que peu de contributions dans ce dossier aient réellement pris le temps de faire la démonstration des liens existants entre jeu et apprentissage, j’ai goûté au plus haut point les analyses descriptives des usages en matière de pédagogie ludique campés dans des expériences bien françaises. Autant chez Yannick Mével et son «Mac Li», que chez Pauline Trachet qui fait «dessiner des moutons», ou Monique Ferrerons dans son jeu de rôles pour comprendre l’injustice liée au commerce mondial, le jeu fait réfléchir.
Beaucoup d’auteurs s’entendent d’ailleurs sur les vertus de l’utilisation du jeu en classe. Les expériences de Gilles Pedreno illustrent bien que les élèves deviennent engagés et actifs, Blandine Turki parle du jeu comme d’un instrument libérateur d’émotion et Barbara Villez élabore plutôt sur les capacités de cet instrument de motivation. Sur ce sujet, plusieurs phrases de Martha Boeglin ont sonné comme de la musique douce aux oreilles du chef d’établissement que j’ai été pendant longtemps : «le jeu permet d’engager le dialogue», «le jeu permet de dire ce que les mots ne veulent ou ne peuvent pas exprimer» et «pendant le jeu, les jeunes sont concentrés, enthousiastes et motivés». Il est vrai que l’observation des élèves en train de jouer peut faire rêver n’importe quel éducateur en quête d’un maximum de temps passé tout en étant centré sur une même tâche.
Pourtant, qui n’a pas ressenti le profond sentiment de culpabilité décrit par Marc Berthou quand vient le temps de considérer l’utilisation du jeu comme stratégie pour faire apprendre? Nous choisissons souvent de ne pas nommer notre intérêt pour la pédagogie ludique, de façon à ne pas avoir à raconter comment nous avons fait pour rattraper «le temps perdu à faire jouer en classe»?!? S’il vous a fallu, vous aussi, harceler des collègues pour qu’ils intègrent le jeu à leur coffre à outils, vous avez peut-être aussi constaté jusqu’à quel point il est dommage que l’on ne parle pratiquement pas de pédagogie entre profs! Voilà peut-être pourquoi la piste du ludique est en même temps si riche et si peu exploitée…
Jeu n’est pas jouet
Deux caractéristiques de l’utilisation du jeu en classe m’ont quand même paru être effleurées et pas assez pointées de façon rigoureuse : la perte d’une certaine inhibition et la découverte du bien-fondé des règles et des conventions. Les entretiens avec Didier Faradji et Philippe Meirieu sont des exceptions parce qu’elles rapportent jusqu’à quel point le jeu «transforme ce qui est aride en plaisir tout en favorisant l’ancrage des connaissances». Le «militant pédagogique» (terme que Meirieu utilise comme signature) bien connu au Québec décrit efficacement les distinctions à faire entre le jeu et le jouet (Monick Lebrun aborde cette distinction également). Je suis moi aussi d’avis que le jeu à l’école devient «une hérésie si on ignore le vrai statut du jeu, si on confond le jeu et l’infantile». À l’école, nous devons aider les élèves à «se délivrer de l’infantile, mais pas du jeu». Parce qu’il enlève certaines inhibitions empêchant les capacités naturelles d’apprendre, le contexte du jeu (pas le jouet) fournit un cadre qui devient un puissant révélateur d’apprentissage. Jacques Audebrand aborde cette question avec brio également. Je conçois que «prendre un certain plaisir dans un cours puisse encore aujourd’hui être considéré comme suspect» (Lebigre et Ledys), mais il faudra tôt ou tard s’affranchir de cette prémisse insidieuse qui veut qu’on ne puisse gagner son pain qu’à la sueur de son front… Chantal Barthélémy-Ruiz illustre de belle façon que nos traditions judéo-chrétiennes nous nuisent énormément quand vient le temps de considérer l’importance du jeu dans l’acte d’apprendre. Je croyais « l’instit » français affranchi de ce genre d’influence et je constate par mes séjours et mes lectures que Québécois et Français sont au même point dans ce cheminement… à faire ! Les Américains ont parcouru plus de chemin que nous sur cette question, il me semble. Il faut lire James-Paul Gee pour s’en convaincre… Dans un document qui s’intitule « Video games and the future of learning » les auteurs dirigés par ce chercheur affirment qu’au-delà des critiques faites à propos des jeux vidéo (simplifications à outrance de la réalité, lieu de violences extrêmes et gratuites et comportements empreints de misogynie), il est évident que jouer fait apprendre. La question devient pour eux : «How can we use the power of video games as a constructive force in schools, homes, and at work?»( Comment pouvons-nous tirer partie de la puissance des jeux vidéo qui peuvent être utilisée de façon constructive dans les écoles, à la maison et au travail?»)
Vrai défi ou simple habillage?
Il faut aussi lire Joëlle Aden et son article au titre accrocheur pour se rendre compte que «jouer pour jouer n’a qu’un intérêt immédiat et fort limité» qui n’a pas peut-être pas sa place dans les institutions scolaires. Le jeu doit poser un défi cognitif de haut niveau pour qu’il soit permis à l’étudiant d’apprendre de la situation d’apprentissage et apprendre ce qui est au programme. Si jouer ne sert que la cause de la mise en contexte, il produira bien peu. Mais si comme au théâtre, il change le rapport à la tâche de celui qui apprend et crée de nouveaux liens entre les procédures et les démarches pour apprendre, aurions-nous raison de le regarder de si haut ? Selon l’apprentissage escompté, le ludique ne sert pas la même cause et c’est très bien ainsi. Comme elle l’affirme, « le jeu compense pour le manque d’authenticité de la situation de communication ». Je voudrais bien être de ceux qui assistent aux classes de « drama » de Mme Aden, là où le jeu d’acteur en particulier, «introduit une nouvelle façon d’aborder la culture». Béatrice Jouin et Roanan Glemarec décrivent eux aussi des expériences intéressantes à tenter en classe.
Je suis toujours surpris du peu de confiance qu’on accorde à l’enfant qui cherche à apprendre en jouant. Blandine Turki résume bien ma pensée sur ce sujet : «il ne joue pas pour apprendre, mais apprend en jouant». Si le jeu ne procure pas d’occasion d’apprendre, peu de jeunes vont persévérer, à l’école comme ailleurs. «Faire apprendre par le jeu est un fantasme» affirme le critique Laurent Lescouarch dans son article «Le jeu à l’école : l’impossible quête». Est-ce que trop souvent on utiliserait le jeu «pour faire avaler la pilule parce l’enfant aime jouer, mais n’aime pas travailler» ? À l’inverse, si l’expression « jeu éducatif » est un pléonasme, pourquoi est-ce qu’on tolère le mot «éducatif» à côté de «jeu» ? Une chose est évidente pour lui, «le jeu sans contrainte n’a pas sa place à l’école!». Même en récréation, je demanderais ? Sur ce sujet d’ailleurs (les contraintes), Yvana Ayme évoque le livre «Jouer et apprendre» de Gilles Brougère dans un entretien avec l’auteur qui contribue à clarifier les concepts de jeu et de ludique ; le parcours des cinq critères qui définissent le jeu et l’activité ludique vaut le détour. Que penser de l’affirmation, relevée par Monick Lebrun, que venir à l’école pour jouer, s’agissant d’enfants de quatre ans, c’est ne pas avoir de projet d’élève? À quel âge est-ce légitime d’exiger des enfants qu’ils ne soient plus des enfants?
Il y a toute la différence du monde entre « apprendre en s’amusant » (par le jeu) et la prétendue possibilité «d’apprendre sans s’en rendre compte» (l’utilisation de cette expression me semble malheureuse d’ailleurs et à éviter). J’ai une foi profonde dans les pédagogues qui partagent la conviction qu’on peut tirer profit du jeu pour apprendre plus efficacement, précisément parce que le jeu permet de mieux comprendre certains rouages de l’apprentissage (en ouvrant une voie privilégiée vers la dimension affective, notamment). Sans doute que les modalités d’application en mathématique (voir le jeu de l’oie de Béatrice Jouin visant à démystifier le calcul littéral) sont différentes de celles en gestion hôtelière (voir la simulation sur la gestion des stocks de Laurence Le Gallo) ; sur le plan cognitif, les raisonnements par le contexte du jeu semblent porter davantage pour certains apprenants que dans l’abstraction pure. J’ai rencontré en France un groupe de chercheurs dans le domaine du ludo-éducatif qui ne demandent qu’à poursuivre sur ce filon .
Des conditions nécessaires
En parcourant ce dossier, on voit que la bagarre opposant les fervents de l’utilisation du jeu en classe à ceux qui leur reprochent d’être« dans une logique de miracle » (article de Laurence le Gallo page trois) n’aura pas lieu. Mais ne nous méprenons pas : il y a bien remise en cause de l’utilisation exclusive des stratégies plus traditionnelles pour faire apprendre (celles qui excluent le jeu, entre autres). Carlo Bianchi le dit tout haut : «Les formations traditionnelles se limitent souvent à donner des réponses à des questions que les gens ne se posent pas ». A rebours, le jeu montre ici la pertinence de son rôle dans les apprentissages, sans aseptiser le milieu éducatif des contraintes qu’il impose et qui sont nécessaires je crois. Il y faut cependant des conditions de réussite précises, Chantal Barthélémy-Ruiz en nomme huit qui vont faire du jeu « une approche gagnant-gagnant pour l’élève et l’enseignant. » (Pour ma part, je dirais plutôt qu’une des grandes vertus du jeu est d’éduquer à la réalité du perdant, apprentissage primordial qui encourage au dépassement dans une société que ne fait de place qu’aux gagnants, souvent dans un contexte de grande facilité.)
La question est donc à traiter avec discernement, et on ne suivra peut-être pas jusqu’au bout Jean Houssaye selon qui «le jeu est un bon moyen de faire disparaître la notion d’école à la maternelle» si l’on adopte l’idée que l’enfant de ce niveau «apprend et s’éduque sans le savoir par le jeu libre». Cette pédagogie de la ruse (?) prête flanc à une certaine «démagogie du jeu» qui n’est pas souhaitable.
L’adage issu du jeu de paume (un sport qui fut roi quatre siècles durant en France entre 1250 et 1650) ne se vérifiera pas au travers de cette littérature. Dans les mains des maîtres, le vilain restera peut-être de ne pas reconnaître la valeur inestimable de celui qui utilise à bon escient tout ce qui peut contribuer à faire apprendre, dont le jeu, «pas pire pantoute» pour aller chercher la part d’enfant qui subsiste en chacun de nous. Comme le dit ici Laurence Le Gallo : «Doser subtilement plaisir et intérêt» : voilà un beau projet pour l’école!

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1 Commentaire
  1. ropib 13 années Il y a

    Je me pose une question depuis longtemps sur le jeu: peut-on jouer sans apprendre ? Après on peut se poser la question de ce qu’on apprend, de la qualité du jeu… mais les enfants apprennent toujours quelque chose en jouant, les animaux aussi. Avec un peu d’introspection on sait que même adulte, un jeu qui ne nous fait évoluer en rien est vite ennuyeux.
    En fait je me demande si le jeu n’est pas l’objectif ultime. C’est à dire que plus on joue plus on a envie de jouer, plus on recherche des compétences pour jouer.

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