Apprendre à perdre

«Tout l’esprit de la réforme est là: empêcher les enfants de perdre. Alors que, pour moi, un des grands objectifs de l’éducation, sans doute le plus difficile, est justement d’apprendre aux enfants à perdre.»

Ce n’est pas la première fois que je rapporte une chronique de Pierre Foglia qui touche le sujet de la réforme (voir ici d’octobre 2003, entre autres). Celle-ci me semble au coeur du sujet du jour: les gagnants et les perdants en éducation. J’ai traité de cette question ici, en réaction à une chronique moins efficace de Richard Martineau. Cette fois, je me propose d’attendre quelques heures avant de réagir ici. Foglia pose la question différemment («éducation: apprendre aux enfants à perdre?»). Je me demande: Est-ce que l’école apprend aux enfants à perdre? à gagner? Est-ce que c’est un des grands OBJECTIFS de l’école que de «produire» ces apprentissages?

Hummmm…

Tout l’esprit de la réforme est peut-être là, effectivement: empêcher les enfants de perdre… le goût d’apprendre!

J’y reviens.

Quelques heures plus tard (sous l’hyperlien plus bas), suite à un billet de Jean-Pierre Proulx au RAEQ

À partir de certains extraits de la chronique de Foglia, quelques réactions…

«C’est comme ça que ça marche depuis le début. Il n’y a jamais eu de débat public sur la réforme. Que des orages.»
Orages, il y a eu, certes. Débats publics? Entre initiés, plus souvent qu’autrement. Foglia marque un point sur le fait que le grand public a beaucoup souffert de ne pas être «partie prenante» des discussions. Si les parents et les citoyens en général avaient davantage été mis dans le coup, les autorités politiques autant que les éducateurs s’en porteraient bien mieux. Les médias auraient moins de prise sur les biais avec lesquels ils traitent de la réforme et les gestionnaires auraient pu mieux évacuer ce qui ne fait pas de sens dans la réforme, car, il faut bien le dire, il y a eu quelques éléments qui méritaient d’être jetés à la poubelle plus rapidement…

«Êtes-vous d’accord pour que vos enfants aillent à l’école pour faire l’acquisition d’un savoir-faire (les fameuses compétences) plutôt que des savoirs tout court?»
Bon… Les compétences (les fameuses) sont davantage des savoirs-agir, mais sur le fond, Foglia a encore raison ici. Cette question est fondamentale et il me semble qu’on devrait faire porter le débat sur ce point plutôt que sur les artifices des bulletins chiffrés et du redoublement en tout temps. Partout où je suis passé, j’ai toujours senti que les parents et les gens du public voulaient qu’on aille plus loin que «les savoirs tout court». Mais j’ai senti aussi que les gens voulaient que «compétent» rime avec «savant».

«Mais oui les enfants acquièrent des savoirs, mais dans l’allégresse de la pratique plutôt que dans l’obligation du par coeur… Sans doute le plus grand classique de la bullshit «constructiviste».»
Zéro sur ce point M. le chroniqueur. C’est pas parce qu’on travaille avec des situations d’apprentissage (il parle de «projet d’apprentissage»… j’imagine qu’il est resté sur le «projet» comme beaucoup de monde), que «l’allégresse» est le but de l’histoire. Pour ce qui est de la «bullshit constructiviste», j’imagine que ça veut dire «l’élève construit-lui-même-son-savoir-sans-qu’on-lui-explique-quoi-que-ce-soit-ou-qu’il-doive-mémoriser-des-savoirs»? Si cette définition du constructivisme tenait encore d’inspiration dans la tête des profs, j’espère qu’on réagirait devant les élèves dans les classes. M. Foglia est du style «il faut que ça fasse mal» pour que ce soit valable. Du déjà vu… L’effort, ça fait mal parfois et souvent, il y a du plaisir aussi. Vouloir que les élèves sachent quoi faire avec ce qu’ils savent me semble légitime et là-dessus, on avance au Québec, n’en déplaise aux nostalgiques de l’anhédonisme. Le premier défi de celui qui fait apprendre est de faire naître l’enthousiasme.

«Dans la réalité? Dans la réalité, le niveau baisse dans des classes de plus en plus pleines et de plus en plus dérangées par des «cas». Ça aussi, c’est la réforme: l’intégration des cas.»
La réforme, c’est aussi la maternelle à temps plein, les conseils d’établissement et plus de temps en classe passé en français, en maths et en sciences (humaines et naturelles). L’intégration dite «sauvage» est un fléau que plusieurs tenant de la réforme dénoncent. Disons que la réforme a été implantée en même temps qu’une politique d’équilibre budgétaire assez sauvage elle aussi. C’est trop facile de dire que le niveau baisse. C’est trop facile de dire que ça baisse (si c’est le cas) à cause des cas. Mais, clairement, le nivellement par le bas, personne n’en veut!

«Cela se comprend, les nouveaux maîtres sortent du creuset même de la réforme, premiers bénéficiaires de cette approche holistique qu’ils vont avoir à appliquer: fermer les yeux sur les faiblesses, mettre en valeur les forces.»
Sur ça, j’ai dit ce que j’avais à dire ici. On ne me fera pas avaler qu’on constate la maîtrise d’une compétence en évacuant les erreurs dans l’agir.

«Pourquoi les parents ne pourraient pas avoir le choix entre une école publique traditionnelle et une école publique réformée, ou alternative?» (…) «La réforme a fait qu’il n’y a plus, au Québec, que des écoles alternatives.»
Une école alternative, ce n’est pas une école réformée, point final (lire le commentaire #4 de ce billet où François Rebello confondait lui aussi). L’école «traditionnelle» a produit trop de décrochage pour qu’on y revienne, mais il y a de la place en classe, avec plusieurs élèves pour des approches plus traditionnelles et la réforme donne toute la place aux profs qui veulent y recourir.

«Pas le droit de perdre. Pas le droit de gagner. Pourquoi? Parce que, a expliqué la direction à une mère éberluée: parce que quand certains enfants perdent, ils pleurent. Tout l’esprit de la réforme est là: empêcher les enfants de perdre.»
Les parents qui veulent surprotéger leurs enfants n’ont pas besoin de la réforme pour agir en mauvais éducateur. Foglia met le doigt sur un gros problème dans nos écoles, mais la réforme n’y est pour rien dans l’éclosion de ce phénomène du «parent-roi-qui-ne-veut-pas-que-son-enfant-vivent-des-contraintes.» Est-ce que l’école apprend aux enfants à perdre? à gagner? Oui. Et la vie s’en charge, croyez-moi, tôt ou tard… Est-ce que c’est un des grands OBJECTIFS de l’école que de «produire» ces apprentissages? Non. Ce qui ne veut pas dire que l’école doive se défiler devant SA responsabilité en cette matière. Cet apprentissage «parmi les plus difficiles » ne doit pas se faire sur le dos de celui, beaucoup plus important, d’empêcher les élèves de perdre… le goût d’apprendre! Je persiste et je signe. L’école des perdants et des gagnants c’est celle d’hier. Qu’on me comprenne bien… Un échec est un échec quand un élève n’atteint pas les hauts standards qui sont fixés. Pourquoi faudrait-il qu’on S’ARRANGE pour qu’il y ait des perdants? La seule raison que je vois est le maintien de cette culture des mauvais gagnants qui le sont quand ils prennent «leur mérite» sur le dos des autres. L’école n’est pas qu’une cour de récréation. Je suis POUR le sport inter-école ou il y a un haut niveau de compétition entre joueurs de talents. Je suis pour les expos-sciences où une certaine compétition existe. Mais l’école de rang tous azimuts, c’est bien fini, n’en déplaise aux gros joueurs de billes qui voudraient que la classe soit encore un grand gymnase où les capitaines choisissent leurs équipiers «à la traditionnelle»!

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5 Commentaires
  1. Photo du profil de ClementLaberge
    ClementLaberge 15 années Il y a

    « Tout l’esprit de la réforme est peut-être là, effectivement: empêcher les enfants de perdre… le goût d’apprendre! »
    Brillant!

  2. Photo du profil de FrancoisGuite
    FrancoisGuite 15 années Il y a

    Excellent, Mario ! Heureusement qu’il y a des blogueurs qui s’y connaissent pour dissiper la poussière avant qu’elle ne retombe. C’est inouï tout ce qu’on colporte sur la réforme dans les médias. Le MELS a lamentablement échoué son travail de sensibilisation à la réforme. J’y faisais allusion récemment :
    « L’école ne peut pas porter seule le poids d’un changement de cap. La ‘réforme’ en cours nous a vite ramenés sur terre. Un projet de société ne saurait réussir sans des politiciens visionnaires, la participation de l’intelligentsia et une cohésion sociale qui commence par la sensibilisation des citoyens. On oublie trop souvent que les parents confient à l’école leurs valeurs, d’où l’exception faite à certaines écoles confessionnelles. La plus grande erreur dans l’implantation de la réforme aura sans doute été d’envahir les écoles comme une armée en pays étranger. »

  3. Jean Trudeau 15 années Il y a

    « Débats publics? Entre initiés, plus souvent qu’autrement. […] Si les parents et les citoyens en général avaient davantage été mis dans le coup, les autorités politiques autant que les éducateurs s’en porteraient bien mieux. »
    Fondamental. Mais utopique dans l’état actuel des choses.
    Il faudrait au préalable que l’école québécoise soit plus ouverte : chaque école devrait avoir son ‘agent’ d’information. Utopique.
    Il faudrait également que les profs acquièrent un statut de professionnels; qu’ils se regroupent dans une corporation au service et à l’écoute du public. Utopique.
    Les débats d’initiés continueront tant que les écoles demeureront ‘closes’ et que les profs n’auront d’autre voix officielle pour les représenter que celle de leurs dirigeants syndicaux…

  4. Photo du profil de Mario Asselin
    Mario Asselin 15 années Il y a

    Merci de vos réactions.
    Plus j’avance dans mon «après-carrière de directeur d’école» plus je constate l’urgence de migrer de l’école sanctuaire à l’école ruche. Utopie? Peut-être. Mais j’y travaille. Je ne suis pas seul. Je ressens même que nous sommes quelques-uns.
    Une anecdote. Dernièrement, j’ai passé la journée dans une école que j’accompagne avec un reporter de Radio-Canada. Après avoir interviewé tout ce qui bouge dans l’école, il a choisi d’enregistrer sur place «son final» (ici… pour Radio-Canada, Montréal). J’ai été frappé d’entendre les mots «abattre les murs de l’école» sortir de sa bouche. Il semble que le topo sera diffusé le 21 juin prochain. Tout ça pour dire que je crois fermement que le cheminement scolaire vers la communauté d’apprentissage réseauté me paraît le meilleur choix pour passer de l’utopie au possible.
    Continuons à en débattre…

  5. Photo du profil de AndreChartrand
    AndreChartrand 15 années Il y a

    Pour te signaler, Mario, que j’ai écrit un billet dans lequel je réagis à ton billet, ainsi qu’à celui de M. Proulx sur le même sujet.
    http://recit.cadre.qc.ca/~chartrand/index.php?2007/06/16/206-savoir-etre

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