Ma conférence au colloque de l’AQIFGA

Ce matin lundi, j’ai le privilège d’intervenir en ouverture du deuxième Colloque de l’Association québécoise des intervenantes et intervenants en formation générale des adultes (AQIFGA). Sous le thème «Intervenir en FGA : continuité, engagement, avenir!», l’événement regroupe quelques centaines de formateurs au Centre Saint-Michel de Sherbrooke.
J’ai décidé d’écrire précisément ce que je compte offrir aux participants. Le programme des deux jours m’a beaucoup inspiré et j’ai déjà hâte de rencontrer dans quelques heures ces gens qui s’offrent du perfectionnement. Sous l’hyperlien plus bas, le verbatim de mon allocution permettra à chacun de revenir sur ce que je me prépare à dire dans quelques minutes. Bien évidemment, je souhaite ainsi entreprendre le dialogue avec des enseignants qui oeuvrent avec des types étudiants que je n’ai pas beaucoup fréquentés. J’invite chacun qui aurait pu être présent à y aller d’un commentaire…


L’âge adulte de la formation!
Dès le moment où j’ai appris que j’étais pour me trouver avec vous, je me suis demandé si l’andragogie était simplement de «la pédagogie pour adultes». Une espèce de façon d’apprendre «XXX» dont on ne pouvait discuter que tard le soir après les nouvelles. Une sorte de «Bleu nuit» de l’éducation…
J’ai découvert qu’il était terminé le temps où le secteur de l’éducation des adultes et de la formation continue était une expérience dont on n’osait pas trop parler en public. Le domaine est en train de devenir un lieu de grande valeur et je ne dis pas cela que pour vous flatter… Je ne crois pas qu’on soupçonne que son caractère soit obscène ou que les scénarios de ses Situations d’Apprentissage et d’Évaluation soient pauvres en trame et forte en images, mais admettons qu’il a été un temps où ce sujet de discussion était un peu tabou. Cette période me paraît être terminée…
Je voudrais vous dire d’entrée de jeu pourquoi, de ma perception, vous avez été snobés quelque peu. Je crois que tout cela était lié à une fausse impression qu’il y avait un temps pour apprendre et un autre pour vivre. Cette idée d’un enchaînement inéluctable dans les phases de la vie biaisait (je n’ai pas dit «baisait») le jugement qu’on portait parfois sur le domaine de l’apprentissage adulte. La façon dont se vivaient les différentes étapes de la vie nous a souvent portés à croire qu’avant d’être adulte, il y avait un espace pour apprendre et qu’après, c’était foutu ou risqué. La période de la vie adulte ne servant qu’à montrer ce qu’on avait appris, toute tentative de recevoir une formation créditée était suspecte. Dans les faits, elle prêtait flanc à une idée reçue qu’un diplôme délivré à une personne adulte se devait de porter l’étiquette «à rabais», puisque n’est valable que ce qui s’apprend au moment où c’était le temps d’apprendre!
Heureusement, les temps changent et on sait de mieux en mieux que tout cela n’était pas vrai. On apprend tout au long de sa vie, les jeunes le savent de plus en plus et nous le savons, puisque nous l’expérimentons au jour le jour en tant qu’adulte. Les étudiants abordent le temps de leur jeunesse avec la perspective d’en profiter pour apprendre sans pour autant se dire qu’à dix-huit ans, ils sauront tout ce qu’ils devraient savoir. Il est heureux qu’ils soient de plus en plus convaincus qu’apprendre à apprendre est au moins aussi important et que les fruits de cette motivation à vouloir connaître qui va les nourrir pendant toute leur vie d’adulte.
Vous savez mieux que moi que l’adulte n’accepte pas les idées toutes faites et a besoin d’être convaincu avant de laisser entrer une information qui va modifier son expérience. Voilà un domaine où l’andragogie et la pédagogie se rejoignent davantage maintenant puisque de moins en moins de jeunes veulent apprendre par cœur et ne compter que sur les seules facultés de mémorisation pour remettre en cause ses certitudes. Les jeunes d’aujourd’hui veulent comprendre pour apprendre tout comme les adultes.
Vous allez me permettre de relativiser tout de suite et de dire que l’adulte dispose d’une expérience qui lui donne le moyen de ses ambitions sur laquelle il peut s’appuyer, alors que les jeunes font preuve d’un esprit critique largement moins développé; je l’admets et là s’arrête toute comparaison. Je ne passerai pas les quarante-cinq prochaines minutes de ma conférence à comparer les stratégies des adultes pour apprendre avec celles à préconiser aujourd’hui avec les jeunes, mais je voulais quand même vous démontrer que le temps a joué pour votre secteur: ce qui fait apprendre véritablement un adulte est un modèle de processus qui fait maintenant partie de l’arsenal de tous les pédagogues, à tort ou à raison…
On fait de moins en moins apprendre «par coeur» en vue de faire réciter et bien que je sois de l’avis que les connaissances explicites et déclaratives n’ont pas perdu de leur importance, savoir-agir avec ce qu’on sait est devenu la priorité autant de la formation générale «jeune» qu’adulte. En cela, votre domaine d’étude et d’intervention prend une importance capitale qui le sort de la marginalité de plus en plus. Je vous annonce donc que votre modèle pédagogique (andragogique) est valorisé par toute une génération d’enseignants et que vous devez sortir du garde-robe le plus rapidement possible, car nous avons tous à apprendre de vous et de vos stratégies… En ce sens, nous atteignons «L’âge adulte de la formation!»
Je reviens sur l’expérience d’être adulte… Cette expérience qui procure tellement d’avantages quoiqu’on en dise. Vous de l’Association québécoise des intervenantes et intervenants en formation générale des adultes (AQIFGA) en êtes à votre deuxième congrès. J’ai bien retenu par la voix de votre présidente, Mme Voyer, que 160 000 personnes utilisent maintenant les services d’éducation aux adultes annuellement et que vous êtes plus de 5 000 intervenantes et intervenants à l’intérieur du réseau. Je suggère qu’il est maintenant le temps de travailler davantage en réseaux, justement parce que la force du nombre vous commande d’être davantage que la somme de vos individualités.
Les gens qui me connaissent savent que je valorise au plus haut point les communautés de pratique et d’apprentissage. Avec la masse critique d’intervenants que vous regroupez, il serait de mise de cesser de réinventer la roue chacun de votre côté et de prendre votre place dans le grand cercle des pédagogues reconnus. Le grand réseau d’éducation a davantage besoin de votre expertise et surtout, chacun de vous avez besoin de celle des autres. La tâche d’enseigner est devenue beaucoup trop lourde pour pouvoir se permettre de travailler en vase clos à réinventer le monde de l’enseignement dans votre classe ou dans votre bureau de travail. Quelqu’un quelque part a probablement déjà planifié le cours que vous vous apprêtez à donner. D’autres ont eu envie d’utiliser une situation d’apprentissage du type de celle que vous songez à utiliser. En amont, il fait maintenant partie de vos devoirs professionnels de consulter les ressources qui sont dans votre environnement de travail par l’échange et la communication à l’aide des moyens modernes qu’offrent les nouvelles technologies.
Thérèse Laferrière considère qu’on peut reconnaître sept motivations à travailler en communauté d’apprentissage…
– Pour mieux comprendre ce qu’on sait
– Pour bien faire ce qu’on ne peut faire seul
– Pour le plaisir de faire avec d’autres
– Pour mieux faire ce qu’on a à faire
– Pour favoriser les interactions avec les gens
– Pour influencer véritablement…
… et se laisser influencer
Les TIC forment de précieux leviers pour faire apprendre, mais avant tout, ils sont des outils qui pourraient changer vos façons d’apprendre, à vous adultes, qui doivent porter une grande attention à votre formation… d’adultes. Je plaide ici que votre meilleure stratégie pour faire apprendre est probablement, en commençant, celle qui vous permet d’apprendre VOUS. Et quand je regarde le Le programme de votre colloque, je suis heureux de constater que l’utilisation des nouvelles technologies est au centre de vos préoccupations. J’en profite pour saluer une collègue spécialiste des portfolios numériques, Samantha Slade de Percolab qui donne un atelier sur les ePortfolios en compagnie de Ghyslain Drolet qui anime aussi «Photorécit 3», à un autre moment du colloque. Je voudrais évoquer l’atelier de Caroline Lefort qui offre de partager une situation d’apprentissage intégrant l’informatique, Annie Lafrenière et Tommy Champagne qui témoigneront d’un stage d’étudiants à New York, René Rancourt qui va présenter la Plateforme Sakai et Marie-Claire Pître qui anime un atelier sur un outil pour l’alphabétisation des adultes. Je vous invite fortement à utiliser les ressources de votre récit national FGA et les récits régionaux près de là où vous êtes qui sont aussi des mines d’or de ressources pour votre développement professionnel et sont probablement sous-utilisés. Je sais aussi que des gens de la GRICS et du Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF) sont là aussi pour des ateliers… Bravo aux organisateurs d’avoir prévu ces occasions d’entrer dans le fascinant monde des TIC.
Vous avez la chance aux adultes d’être des immigrants qui enseignez à des immigrants, ce n’est pas peu dire! Je m’explique… Mark Prensky a décrit en 2001 le défi d’avoir à composer avec les natifs de l’Internet. Vous saviez qu’ils avaient maintenant quatorze ou quinze ans aujourd’hui les premiers à être nés avec la présence du Web, des ordinateurs portables, de la numérisation d’images et de vidéos, des blogues, des courriels, du clavardage et même des wikis qui sont là depuis qu’ils sont nés? Et vous savez, quand on leur demande depuis combien de temps ces outils existent, ils vous regardent avec des yeux de poisson… l’air de dire «ça n’a pas toujours existé Internet?» Les étudiants en formation générale «jeunes», sur les bancs d’école, sont des natifs de l’Internet. Les gens qui leur enseignent, dans le meilleur des scénarios sont des immigrants de la fréquentation sur La Toile et les conséquences sont importantes: ils ont un accent quand ils s’expriment… détectable des natifs qui comme tous ceux qui parle la langue depuis la naissance et qui savent reconnaître qui vient d’apprendre à la parler. Mais, ils agissent souvent comme des sous-doués avec toute cette technologie, ne vous y trompez pas. La «Google generation» passe rapidement d’une chose à l’autre sur Internet, consomme l’information à une vitesse d’enfer et est trop souvent incapable de s’assurer de la validité de ce qu’elle rencontre. Les jeunes de cette génération seront devant vous bientôt, c’est la fatalité. Pendant le temps où vous êtes entre immigrants, je suggère que vous preniez le temps de vous approprier tous ces outils qui favoriseront la culture de réseau… de votre réseau! Soit pour votre développement professionnel en premier et ensuite, pour influencer vos stratégies pour faire apprendre…
Depuis Gutenberg, rarement avait-on vu naître un moyen de diffuser de la connaissance aussi percutant. L’arrivée d’Internet et des outils de collaboration marquent une étape importante en éducation. Je vous invite à regarder de près les logiciels sociaux qui permettent l’interaction et facilitent la publication Web marquant ainsi une évolution importante dans les façons d’apprendre. Je suis d’avis que le changement de paradigme qu’apporte l’utilisation massive des TIC par les jeunes ne remet pas le compteur à zéro, en ce sens que tout enseignant peut maintenant ajouter des stratégies plus ouvertes à celles qu’il privilégiait et se centrer sur ce qui fait apprendre plutôt que demeurer centrer sur son enseignement, ce qu’il doit considérer en certaines phases de son quotidien d’enseignant, je vous le concède. Faire apprendre veut dire guider et enseigner de façon systématique, bien entendu…
L’enseignant d’aujourd’hui en formation générale des adultes doit considérer qu’il fait apprendre de plus en plus à des gens qui seront bien différents de lui dans leur rapport aux savoirs. Tout bon maître d’école sait que devant lui dans une classe ou en formation à distance avec une cohorte, les gens n’apprennent pas tous les mêmes choses en même temps. C’est en tout cas ce que j’ai découvert au fil de mon expérience et, entre autres, là où j’ai commencé l’utilisation des portfolios électroniques avec des jeunes élèves de la fin du primaire en 2003. Rapidement, les membres de notre communauté avaient été impressionnés par l’efficacité de la publication Web au moment où le fait d’utiliser un ordinateur portable devait être Le levier qui augmenterait le niveau de leurs acquis. Dans les sports et la musique, un formateur sait qu’il doit faire en sorte que l’apprenant puisse se produire en public souvent pendant son cheminement. Les nombreux feed-back qu’il reçoit à ce moment agissent comme de véritables catalyseurs d’apprentissage. Pourquoi en serait-il autrement quand il s’agit d’apprendre l’écriture? Écrire en public est une composante importante de l’apprentissage et les portfolios faits à partir de blogues sont de puissants leviers pour faire apprendre, dans ce sens. À titre de consultant, j’utilise les blogues, les wikis et plusieurs logiciels sociaux (tels del.icio.us, Flickr, You Tube, etc.) pour faire apprendre et je suis stupéfait des résultats récoltés. Actuellement chez Opossum, nous hébergeons plusieurs milliers de blogues et une trentaine de wikis qui favorisent la construction d’apprentissage dans plus d’une cinquantaine de projets institutionnels et ministériels. À eux seuls, les cyberportfolios d’Opossum (des blogues aménagés en portfolios électroniques où on partage ses travaux, où on réfléchis à comment on les a construits et où on nomme les ressources sur lesquelles on peut compter) sont utilisés par plus de 50 écoles au Canada et en France. En plus de développer la culture de réseau, ces espaces publics permettent des apprentissages intégrés, ne serait-ce parce qu’ils permettent un vrai contexte de travail pour les étudiants. Imaginez: faire son travail pour la planète au lieu de le restreindre à son enseignant et à ses parents. Les grands-parents, les voisins, la communauté rapprochée et celle plus élargie agissent comme rétroacteurs et participent aux apprentissages des jeunes sans rien enlever aux enseignants ou à l’école. C’est ce genre d’outils que je vous invite à considérer autant pour votre développement professionnel que pour renouveler vos stratégies d’enseignement.
Mais pour que ces outils procurent le maximum de résultats, il faut accepter que 100% du savoir ne transitent pas par l’enseignant. Il faut accepter la posture de celui qui n’a pas le monopole des connaissances. L’enseignant et la communauté éducative doivent aussi accepter le principe de la gestion a posteriori de la publication Web; pas de goulot d’étranglement, les apprenants voient immédiatement le résultat de ce qu’ils publient et on gère la température avec l’aide de charte d’utilisation d’une langue de qualité et d’un code de déontologie socialement construit et accepté… C’est l’interaction avec les différentes sources de savoirs (dont l’enseignant) qui procurent le levier si puissant pour intégrer les connaissances. Et je ne parle pas du phénomène d’inversion de la tendance d’autrefois. Au lieu de tirer après les étudiants pour qu’ils daignent considérer ce que je veux leur faire apprendre comme enseignant, c’est eux qui «tirent» après moi pour apprendre ce qui leur est nécessaire pour obtenir un travail de qualité et être à la hauteur de l’identité numérique qu’il se donne par leur portfolio.
J’ai rencontré beaucoup adultes inspirés dans mon parcours de formation professionnel. C’est souvent leur coaching qui m’a le plus touché. Vous savez cette façon de trouver la bonne distance à établir avec celui qui apprend, ni trop proche, ni trop loin… Vous faites un travail de valeur chers participants à ce colloque. Les profs dans les classes ont la responsabilité professionnelle d’agir au meilleur de leur conscience avec les jeunes en tenant compte de la prescription du nouveau programme de formation.
Depuis huit ans, nous tous sommes inscrits dans une démarche d’appropriation et nous le serons encore pour plusieurs années, en formation adulte en particulier. Vous avez une certaine longueur d’avance, je crois, parce que vous référez déjà aux contextes des apprentissages et utilisez beaucoup les tâches complexes et authentiques, mais je souhaite quand même vous rappeler qu’il n’y a rien qui oblige un enseignant à jouer à l’apprenti sorcier dans sa classe. S’il ne se sent pas «en contrôle», il a le devoir de se réfugier dans des stratégies éprouvées, qu’il connaît et qu’il maîtrise. Ce même prof a aussi le devoir de ne pas se tasser quand l’information arrive et il doit voir à sa formation continue. Je reconnais que le MELS, les C.P. et les directions d’école (dont je suis) «picossent» pour que l’esprit du nouveau programme entre en classe, mais je crois profondément au sens professionnel des profs. Le gouvernement joue son rôle et il n’a pas à s’excuser de vouloir qu’à l’école, on applique ses politiques. S’il fait preuve de manque de jugement ou d’organisation (et ce fut le cas), c’est notre devoir de citoyen de le dénoncer de façon constructive et de voter contre, ultimement, s’il ne s’ajuste pas à notre goût! Mais notre responsabilité est de comprendre comment nous apprenons nous-mêmes en tant qu’adultes, par les nombreuses analyses réflexives du quotidien pour se placer en situation de signifiance vis-à-vis de ceux qui sont avec nous dans la classe. Le rapport d’autorité que chaque enseignant doit développer avec ses étudiants vient de sa capacité à produire du sens pour ses étudiants… et je sais qu’en ce domaine, vous êtes efficaces!
Je voudrais qu’à l’occasion de ces prochaines heures au colloque vous nommiez vos solidarités. Je souhaiterais que lors de vos échanges, formels ou informels vous montriez qui vous êtes et ce que vous faites! Je vous invite à illustrer le lien fort qui existe entre les adultes qu’on forme et la façon dont chacun de nous se forme. Votre expertise est là, dans la continuité de votre engagement à préparer l’avenir de ces adultes en formation. J’ai dit plus tôt que nous avions atteint «L’âge adulte de la formation»; souvenez-vous… c’est l’âge que vous avez… c’est l’âge pour qui vous oeuvrez. Vous êtes les mieux placés pour affirmer votre identité de formateur et nous avons tous besoin de vous l’entendre dire. Savoir former un adulte, c’est précieux et c’est utile pour savoir comment former un enfant ou un adolescent. Je vous invite à rayonner au maximum de vos possibilités.
Et sur ce, je vous souhaite un excellent colloque!

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