Parce que nos valeurs, on y croit

On parle beaucoup du rôle des intellectuels dans le présent débat sur le caractère laïque des institutions de l’État. Des observateurs mentionnent souvent qu’une des polarités qui se développe (à part Montréal vs les régions) se situerait entre intellectuels (incluant les artistes) et « monsieur madame Tout-le-Monde ». On verra…

Je porte évidemment une grande attention à tout ce qui se dit / s’écrit sur le sujet, mon travail étant lié à la façon dont le débat progresse. La formation politique pour laquelle je travaille et milite a fait connaître sa position et croit qu’il faut rapidement déposer un projet de loi, en débattre et en disposer pour régler le problème du malaise avec les demandes d’accommodement religieux. Au lieu de cela, le gouvernement du parti québécois s’est offert un Chemin de croix qui débute par une crise dans le mouvement souverainiste. Il faut lire Lise Ravary sur ce sujet, aujourd’hui…

Revenons à la contribution des intellectuels.

J’ai écouté cette semaine au micro de Catherine Perrin, un prof de littérature qui fait de l’analyse de texte, Benoît Melançon. Sa mission : analyser le texte du document gouvernemental, Parce que nos valeurs, on y croit en se demandant quelle « histoire » raconte ce document.

En peu de mots, son verdict est clair : le texte est « un chef-d’oeuvre d’ambiguïté ».

On peut entendre le professeur Melançon de 22:20 à 36:00 dans cet extrait de l’émission Médium large du 13 septembre.

En gros, « le titre du document Parce que nos valeurs, on y croit est une réponse, à une question qu’on ne connaît pas ». Les mots « identité » et « inclusion » sont absents du texte, mais l’expression « cohésion sociale » revient à six ou sept reprises. La notion n’y est pas définie. Dans la façon dont le texte est écrit, « c’est comme s’il y avait une menace pour le vivre ensemble et cela nous ramène au titre Parce que nos valeurs, on y croit ». Il y aurait un danger pour la cohésion sociale et la réponse se trouverait dans l’expression de nos valeurs. (Ajout : depuis la rédaction de ce billet, le prof Melançon a publié l’intégral de son analyse de texte. C’est sur son blogue dans « Explication de texte du lundi matin » ou en format .pdf)

D’ailleurs, je me demande encore pourquoi on ne parle pas de charte de la laïcité plutôt que de charte des valeurs. Mais ça, c’est un autre débat…

Évidemment, tout le monde n’est pas d’accord sur le fait qu’il y aurait une crise… Benoît Aubin en parle dans une chronique publiée aujourd’hui.

« Sans «ennemi» qui nous «menace», le projet du PQ ne décolle pas. Faute de crise en ce moment, le PQ en fabrique une. »

Cette semaine, la seule crise véritable s’est transportée dans le mouvement souverainiste, caractérisée par une déclaration la députée du Bloc québécois expulsée de son caucus :

« Est-ce que j’ai encore ma place dans ce mouvement indépendantiste là? Est-ce que les gens comme moi un peu, qui viennent d’ailleurs, qui s’intègrent au Québec, qui deviennent des citoyens à part entière, ont leur place dans le mouvement indépendantiste? Je n’ai pas de réponse. »

Comment interpréter, dans ce contexte, une déclaration ambiguë de Bernard Drainville, cette semaine à la Radio de Radio-Canada, à l’occasion d’une tribune libre ? Dans cet extrait fourni par l’animateur de la ligne ouverte, on entend le ministre Drainville, laisser entendre que « l’islamisation rampante » cause un problème à Montréal et ailleurs au Québec – dans le monde? – et ce serait « une réalité qui préoccupe ». Dans un contexte où la question de « l’islamisation rampante » lui a été reposée chez Mme Bazzo et que sa réponse – « évidemment pas » – a été beaucoup plus claire, il faut comprendre que le gouvernement n’ira pas jusqu’à inventer une crise qui n’existe pas. Je suis rassuré, d’une certaine façon.

Mais il demeure que le choix de cette priorité en cette rentrée parlementaire est plus que douteux. Pourquoi, tout à coup, la neutralité de l’État serait-elle devenue la priorité des priorités ? Où est la crise qui explique l’importance accordée par le gouvernement à ce sujet, sous-entendue dans un document ambigüe qui en présente la position ?

Pour moi, Parce que nos valeurs, on y croit est une solution qui se cherche un problème. Une position moins radicale et un projet de loi rapidement déposé auraient pu parfaitement cadrer avec le fait que le sujet était « une promesse électorale ».

La suite des événements nous en dira long sur la responsabilité de ce gouvernement qui doit rapidement revenir à la priorité de cet automne : l’économie et la relance de l’emploi !

Mise à jour du 18 octobre 2013 : La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse vient de publier un avis assez percutant sur la proposition du gouvernement. En deux mots… « L’interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les employés de l’État et des organismes publics ne pourrait passer le «test» de la Charte québécoise des droits et libertés, ni ne résisterait «à l’examen des tribunaux» dans l’état actuel de la jurisprudence » (source). Un dur coup (« un coup de semonce ») pour la position radicale du PQ. La position de la CDPDJ n’est pas exempte de critiques, cependant, comme en fait foi cet article d’un Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, publié au Devoir.

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2 Commentaires
  1. […] Qui je suis ← Parce que nos valeurs, on y croit […]

  2. […] (1, 2, 3, 4, 5) ont établit un lien clair entre le dépôt cet automne du projet péquiste de Charte des «valeurs québécoises» et le wedge politics ou « stratégie de division » qui consiste à adopter […]

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