La gestion du secret public à Brébeuf

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec dans la section « blogue ».

Il semblait exister un certain secret public au Collège Jean-de-Brébeuf jusqu’à dernièrement : il y a longtemps, l’animatrice en art dramatique (qui agissait parfois à titre d’enseignante) Jacqueline Laurent-Auger a déjà tenu un rôle dans des films «érotiques». Plusieurs étudiants savaient que sur Internet on pouvait consulter «cette filmographie des années 70» dans laquelle on peut voir l’enseignante dans le plus simple appareil. Probablement que quelques collègues professeurs et quelques parents le savaient également, peut-être même des membres de la direction.

Mon hypothèse : plusieurs personnes croyaient que les autres ne le savaient pas, jusqu’au printemps passé.

Les jeunes étant des jeunes, il s’est passé quelque chose de semblable au récit d’un des contes d’Anderson (Les habits neufs de l’empereur)…

«Alors que l’empereur ainsi que tous ses sujets se mentent à eux-mêmes et forcément aux autres, seul l’enfant humble préserve les véritables qualités de la transparence en déclarant publiquement la nudité de l’empereur. (source

On imagine facilement la suite…

Le directeur voyait venir le temps proche où il aurait à composer avec ce «secret public» devenu «connaissance commune» à cause de la réaction des jeunes en classe. Il se disait qu’il y avait deux manchettes possibles :
1- Une prof de théâtre congédiée pour des scènes érotiques passées.
2- Une prof de théâtre ayant tourné des scènes érotiques dans la passé enseigne à Brébeuf.

Il a choisi (au nom de la direction général du «prestigieux» établissement) de ne pas renouveler le contrat de Mme Laurent-Auger.

Je ne suis pas le premier à écrire sur le sujet, la déferlante de blogueurs et de commentateurs s’est sentie interpellée et la grande majorité ont cassé du sucre sur la décision de la direction, qui aurait choisi la mauvaise des deux manchettes possibles.

On va me dire qu’il y avait de l’espace entre ces deux «extrêmes», mais je choisis dans mon billet de me donner un petit côté manichéen: c’était l’une ou l’autre.

C’est en visionnant une entrevue de Jacqueline Laurent-Auger accordée à Denis Lévesque que la motivation d’écrire ce texte sur ce sujet m’est venue. Parmi tout ce que j’ai lu, j’ai beaucoup aimé la réaction de mon collègue de Québec Claude Villeneuve qui a bien illustré comment une décision de la direction concernant Cœur de pirate prêtait flanc à du «deux poids deux mesures». Mais Mme Martin n’enseignait pas aux étudiants, justement. Ça peut donner «une porte de sortie» au Collège…

Mon autre collègue Pierre Trudel s’est intéressé à la dure réalité de devoir «apprendre à vivre dans un monde dans lequel tout ce qui documente les évènements du passé est plus facile que jamais à retrouver». Davantage de secrets publics deviennent des connaissances communes !

Ce qui m’a frappé dans son récit chez Denis Lévesque de son vécu récent de prof de théâtre en classe à Brébeuf était qu’elle ne pouvait faire aucun lien entre la connaissance devenue commune de son passé dans des films érotiques et ses difficultés de gestion de classe. Je répète : aucun lien, pas rapport, niet.

Un peu plus loin dans l’émission, il fallait entendre la sexologue reconnue Marie-Paule Ross venir expliquer comment elle était rassurée de l’attitude des jeunes qui semblaient, eux, «ne pas faire comme si de rien n’était».

D’un point de vue communication, j’entretiens d’immenses réserves sur la façon dont Brébeuf a géré les suites médiatiques de son choix de manchette, mais je ne comprends pas que si peu d’intervenants n’aient pas vu que le passé de Mme Laurent-Auger pouvait lui rendre extrêmement difficile sa tâche d’enseignante de théâtre au Collège Jean-de-Brébeuf, à commencer par elle-même qui ne semble rien comprendre de ce qui lui est arrivée.

On a été sévère avec la direction de Brébeuf, soit, mais si je me mets à leur place, je conçois très facilement que l’enseignante puisse avoir «un problème» à bien gérer une classe dans les circonstances du passage de son secret public à une connaissance commune.

Je n’ai pas communiqué avec le Collège, mais je connais un peu la maison.

À tort ou à raison, je sais que le tapage médiatique sert jusqu’à un certain point l’aura d’intransigeance qu’elle se donne souvent à propos de certaines valeurs non-négociables comprises dans leur mission éducative. Ce passage de leur communiqué me paraît bien représentatif de ce que je veux exprimer…

«Est-ce que les films Le journal intime d’une nymphomane ou La bonzesse, dans lesquels Mme Laurent-Auger est en vedette et où on la voit dans des scènes érotiques, même dites softs, sont des modèles à suivre pour des élèves du secondaire qui s’initient au théâtre et aux arts en général?»

Au risque de détonner par rapport à la réaction de plusieurs autres observateurs, je n’approuve pas l’esclandre de Mme Laurent-Auger qui, il me semble, aurait pu prendre un peu de recul face à ses responsabilités devant des jeunes, dans un Collège qu’elle connaît bien, celui qu’est le Collège Jean-de-Brébeuf, avec ses forces et ses faiblesses.

Est-ce que j’aurais agi (je suis un ex-directeur au privé) de la même manière que la direction de Brébeuf confrontée à la même situation ?

Je n’ai jamais travaillé dans un environnement se rapprochant de celui du Collège Jean-de-Brébeuf. Je ne jouerai pas au gérant d’estrade.

Je crois cependant, vu de l’extérieur, que la direction du Collège est en parfaite cohérence avec ce que je connais de la gestion des «secrets publics» devenus «connaissances communes» dans ce collège.

J’imagine que Mme Laurent-Auger en sait quelque chose. Pouvait-elle s’attendre à autre chose ?

Ajout de fin de journée : Manifestement, «le tapage médiatique» n’a pas l’effet sur la direction du Collège que je le croyais au moment de rédiger mon billet et le communiqué de presse qu’elle vient de publier l’indique : «La divulgation médiatique du non-renouvellement de contrat de la société appartenant à Mme Jacqueline Laurent-Auger, qui agissait comme animatrice d’ateliers de théâtre auprès d’élèves du secondaire du Collège Jean-de-Brébeuf, a généré un grand nombre de réactions autant au sein de la communauté du Collège que parmi le public en général. (…) Nous reconnaissons d’emblée que l’ensemble de ce dossier aurait pu être traité différemment et qu’il est nécessaire de corriger le tir». «L’aura d’intransigeance» à Brébeuf n’est peut-être pas aussi forte qu’elle a déjà été. Ce communiqué me paraît être une bonne nouvelle…

Mise à jour du lendemain : On parle du licenciement jusqu’en France…

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