Le silence des hommes

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».

Je suis récemment allé voir le film de Ève Lamont Le commerce du sexe en compagnie de celle qui a été l’an dernier un de mes gros coups de coeur, Rose Dufour.

J’ai eu besoin de tout mon petit change pour briser le silence dans lequel je voulais m’enfermer une fois sorti du Cinéma Cartier. L’heure qui a suivi en compagnie de celle qui est à l’origine de La Maison de Marthe m’a aidé à comprendre pourquoi il fallait que je trouve des mots pour m’exprimer au lieu de rester pris avec le mal de coeur qui s’est rapidement fait sentir.

C’est que le documentaire de 76 minutes ne ménage pas ceux qui ont le courage d’y faire face du début à la fin.

Le long métrage dépeint une réalité qu’on croit connaître, mais qui en réalité montre des femmes et des filles abusées, condamnées au silence.

Il pose la question suivante : « À qui profite vraiment ce commerce qui fait du corps des femmes une marchandise exploitable à souhait ?»

Comme l’écrit Rima Elkouri, «les réponses qu’offre le documentaire sont troublantes».

Une affaire de commerce et non de sexe
C’est un des mérites de ce film sur l’industrie du sexe que celui de montrer les aspect pernicieux et dégradants du «plus vieux métier du monde», qui ne profite pas vraiment aux femmes qui ont bien peu à dire dans les faits, sauf dans de très rare exceptions.

Malgré mon envie de repartir dès la fin du film pour aller faire le résumé de ce que je venais de voir, en silence, j’ai quand même pris quelques minutes pour discuter avec Rose Dufour, une anthropologue qui a consacré les dernières années de sa vie professionnelle à aider les femmes à se sortir de la prostitution.

Elle en connaît long sur le sujet et endosse totalement les propos du film de Ève Lamont. Dont cette opposition à la légalisation de la prostitution. Mmes Lamont et Dufour pensent qu’il faut plutôt y mettre fin !

Rose Dufour m’a rapporté après le visionnement qu’au Québec, des enquêtes montrent qu’il y aurait de 10 à 12 % des hommes qui consomment de la prostitution. «Ils veulent du sexe sans avoir besoin de séduire, et surtout pas assumer les responsabilités qui vont avec», dit-elle, pour avoir eu plusieurs conversations avec ces hommes qui ne se vantent jamais d’avoir recours au commerce du sexe, «même pas à leurs meilleurs amis», ajoute mon interlocutrice.

Rose Dufour croit néanmoins que c’est probablement davantage, en 2015.

Rose Dufour ne comprend pas qu’on se comporte comme si toute la sexualité masculine était menacée par ce dix/douze pour-cent de déviants.

Si le profil des hommes qui consomment de la prostitution est bien particulier, le silence de tous les hommes lui, est bien réel. Pourtant, on aurait bien besoin de la parole de tous les hommes pour mener le combat contre ce qui s’apparente à de l’esclavagisme.

Actuellement, c’est comme si les hommes en général ne semblent pas faire partie de la lutte contre la prostitution. Pourtant, depuis l’automne 2014 la loi C-36 qui pénalise les clients de la prostitution aurait dû agir pour que diminue l’ampleur du phénomène. Certains comme Rose Dufour affirment que l’absence de règlements consécutifs à l’adoption de la loi est une autre forme de silence qui fait qu’on n’avance pas du tout.

J’imagine que si tous les policiers voyaient le film, ils ne pourraient faire autrement que mettre de la pression pour que la loi soit respectée.

La loi C-36 est fédérale et les gouvernements provinciaux et municipaux doivent avoir les moyens de la faire respecter. Quand entendons-nous parler que des clients ont été arrêtés ?

Dans le film Le commerce du sexe, Dominic Monchamp (sergent détective et superviseur des enquêtes du Service de police de la Ville de Montréal – moralité Ouest) et Victor Malarek (journaliste d’enquête canadien réputé et auteur de plusieurs ouvrages sur l’industrie du sexe) sont parmi les deux seuls intervenants masculins à s’interposer contre le fléau.

Ils sont d’accord et le démontrent avec plusieurs exemples à l’appui : l’industrie du sexe fait miroiter aux femmes qu’ils vont faire beaucoup d’argent, mais la réalité est tout autre. Rose Dufour qui travaille à sortir les femmes de la prostitution, n’en revient pas de l’état dans lequel elle trouve les femmes lorsqu’elles lui tendent enfin la main.

Le chemin est extrêmement pénible pour se réapproprier son corps et sa vie dont la prostitution a souvent irrémédiablement abusé. Il faut des années de travail pour réparer.

«La sexualité, c’est trop beau et trop bon pour que ça soit monnayable, ça doit demeurer cette chose exceptionnelle et intime qui unit deux être humains. Les hommes doivent apprendre que le sexe, ça ne s’achète pas, qu’il n’y a pas de femme « marchandable »». Rose Dufour

Selon ses propres enquêtes, 85% des femmes qui sont dans la prostitution ont elles-mêmes été abusées sexuellement avant de commencer à se prostituer. Ce qui lui fait de plus en plus peur réside dans ses observations à l’effet qu’un rajeunissement de «la clientèle» semble s’opérer. Selon elle, certaines adolescentes éprouvent un besoin tellement élevé de reconnaissance, qu’elle tombe facilement dans le piège de la prostitution. Elles en viennent à s’offrir d’elles-mêmes aux proxénètes. Sur ce point, le film va moins loin que la triste réalité…

Il y a une révolution à faire dans les rapports entre les hommes et les femmes pour que ces dernières cessent de représenter des objets sexuels aux yeux de trop d’hommes.

Des hommes silencieux en général, mais très loquace pour parler de sexe
De manière plutôt paradoxale, à sa grande surprise à travers son enquête, les hommes rencontrés étaient intarissables quand ils parlaient de sexe. Le sujet les passionne. C’est qu’ils tiennent énormément à se justifier.

C’est comme si les gars considéraient que la putain n’est pas une femme comme les autres. Puisque les femmes qui se prostituent acceptent d’être une marchandise, lui «le client» a le droit d’exiger le sexe qu’il a acheté. Elle qui n’éprouve aucun désir pour lui, mais qui joue le jeu, le dupe facilement. Ainsi convaincu parce qu’il paye que les «règles du jeu» sont «honnêtes» et qu’il ne fait rien de mal.

Curieusement, aucun homme rencontré par Rose ne veut que sa fille ou que sa femme devienne prostituée.

Il n’y a pourtant pas deux catégories d’être humain, les « pas prostituables » et celle qui le sont…

«Il n’y aura jamais d’égalité entre les hommes et les femmes si on accepte le principe que certaines femmes sont « prostituables » et d’autres ne le sont pas». Rose Dufour

Briser le silence
Je suis sorti de ma rencontre avec Rose Dufour et du visionnement du film avec le désir de briser le silence.

Ce réflexe que nous les hommes n’avons rien à voir avec ce sujet du commerce du sexe parce qu’on ne consomme pas de prostitution, il faut le combattre.

Pour ces femmes qui sont achetées et choisies comme des pizzas (c’est un des passages les plus surréalistes du documentaire), il y a lieu de se lever et de parler.

Mieux encore il faut dénoncer cette odieuse situation.

Dans Le commerce du sexe, il s’agit de femmes qui «font» douze à seize hommes par jour. Il s’agit de femmes qui se font exploiter.

C’est pour quand le réveil des hommes ? C’est pour quand la fin de ce silence complice ?

Le documentaire Le commerce du sexe révèle l’envers du décor d’un nouvel esclavage des temps modernes. Il peut être visionné encore pour quelques jours au Cinéma Excentris à Montréal et au Cinéma Cartier à Québec.

Mise à jour du 14 mai : Joëlle Boutin a elle aussi écris sur le sujet du film sur le blogue des Femmes Alpha, « L’art d’acheter une femme ».

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