La réussite du plus grand nombre

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».

Pour deux des douze diplômes et qualifications qui entrent dans les plus récents chiffres du ministère de l’Éducation quand vient le temps de calculer le taux de diplomation au Québec, «il n’est même pas nécessaire d’avoir réussi la deuxième année du secondaire pour l’obtenir». Pour ces diplômés, il est permis de se demander de quelle réussite scolaire on parle exactement ?

Je ne dis pas que ces qualifications n’ont aucune valeur, mais le fait que ces onze «diplômes» autres que le diplôme d’études secondaires (DES) soient «responsables de la hausse du taux de diplomation» de 72,3% en 2011 à 77,7% en 2015 (tel que rapporté ce matin au Journal) me semble poser un problème.

Le ministre a employé aujourd’hui en mêlée de presse l’expression « formation qualifiante » et il a raison de le faire, car il faut voir que pour certains, ça fait une grosse différence de sortir du système d’éducation avec une qualification plutôt qu’aucune.

Par contre – et c’est là où le bât blesse – je ne crois pas qu’il faut se réjouir du fait que le DES ne soit pas le standard de réussite dans les indicateurs utilisés.

Égide Royer (professeur en adaptation scolaire) pose dans cet article une excellente question : «Comment peut-on accepter comme étant un indicateur de réussite au secondaire le fait que quelqu’un de 18 ans ait un niveau de lecture de 4e année ?»

J’ai publié cette fin de semaine un billet sur les indicateurs d’un système d’éducation performant et une réaction intéressante m’est venue du Saguenay par l’intermédiaire d’un universitaire pour lequel j’ai beaucoup de respect. Son texte pose la question de ce que veut dire « réussir » et de savoir si tout le monde devrait avoir le même diplôme pour « réussir » ?

Je suis d’accord avec l’idée qu’il ne doit pas y avoir qu’un seul diplôme gage de réussite. On pourrait avoir raison d’être déçu qu’un étudiant à fort potentiel rendu à l’université n’obtienne pas son baccalauréat et en même temps très fier d’un autre qui reçoit son diplôme d’études professionnelles. Le second a peut-être « mieux réussi » que le premier, j’en conviens !

Cependant, avec 53,3% de la population du Québec en 2014 identifiés comme « analphabètes fonctionnels » selon l’enquête PEICA, il est quand même de mise au-delà des diplômes de s’assurer à l’étape de la formation initiale qu’un citoyen puisse «comprendre la signification de textes denses ou longs» ou de «choisir des données pertinentes à partir d’informations concurrentes afin de déterminer et de formuler des réponses» suite à la lecture d’un texte.

C’est ce que les 53,3% (4,1 + 14,9 + 34,3) de la population du Québec ne peuvent pas faire.

Les caractéristiques récemment énoncées viennent du niveau 3 de littératie de l’enquête PEICA. Une présentation de premiers résultats issus du rapport international et du rapport pancanadien (30 mai 2014) montre qu’au Québec 4,1% de la population n’atteint pas le niveau 1 (incapable de remplir des formulaires simples, de comprendre du vocabulaire de base), 14,9% est au niveau 1 (incapable d’intégrer deux informations ou plus selon des critères donnés, comparer et distinguer les informations, ou raisonner à partir de celles-ci) et 34,3% est au niveau 2, incapable de faire ce qui est décrit à la fin de l’avant dernier paragraphe précédent.

Le ministre de l’Éducation laisse entendre que nous serions «en progression à peu près partout» sur la question des taux de diplomation et que les programmes de qualifications sont «une voie de sortie extrêmement honorable» (source).

Je veux bien, mais si la proportion des qualifiés et diplômés augmente et qu’au final, on ne diminue pas de manière importante la proportion d’analphabètes fonctionnels, on ne sera pas plus avancé sur le chemin de la réussite scolaire.

Déjà que les résultats stagnent sur le nombre de ceux et celles qui obtiennent un DES, si je comprends bien, et que l’obtention de ce diplôme ne nous assure peut-être même pas la maîtrise d’une langue maternelle qui rendrait les citoyens complètement fonctionnels (on n’a qu’à voir toutes les discussions sur les autres examens portant sur la maîtrise de la langue en entreprise, au collégial et dans les universités pour s’en rendre compte), je me sens presque autorisé à écrire qu’il se pourrait bien que dans les prochaines années… les taux de diplomation monte, mais la réussite scolaire diminue !

Je suis prêt pour le débat sur ce que veut dire « réussir ».

Mais au-delà des diplômes, la réussite pour le Québec passe par cet objectif de «faire reculer cette horreur de gens ayant longtemps été à l’école et ne sachant pas lire» (source).

Mise à jour du 1er octobre : Réaction de Patrick Giroux, «Pourquoi la réussite éducative ou la performance du système d’éducation ne doit pas se mesurer en diplôme».

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2 Commentaires
  1. Photo du profil de Normand Lamothe
    Normand Lamothe 7 années Il y a

    Bonjour Mario,

    J’aurais aimé publier ce commentaire directement sur votre blogue au JdeM, mais pour une raison qui m’échappe, la rubrique commentaire ne fonctionne pas, même avec une version abrégée. Je le fais donc ici.

    C’est plate à dire, mais dans mon livre à moi, l’école fait décrocher. Je vous en donne un exemple bien près de moi.

    Mon fils de 19 ans est dans une classe spéciale et si la tendance se maintient il ne parviendra pas à finir son secondaire 4 avant l’âge de 21 ans. C’est un asperger léger avec trouble de dyslexie. Ma femme et moi l’avons intéressé à la lecture dès son jeune âge, mais il aura fallu persévérer pour qu’il y prenne goût, et ce fut sur le tard. Une page à la fois, je lui répétais sans cesse. Pas besoin de vous dire que ce fut un méchant combat, tant pour lui que pour nous.

    Heureusement, il a pris goût et lit énormément. Son vocabulaire est largement au-dessus de la moyenne. Il aime écrire et le fait magnifiquement bien. Sa structure de pensée, ses histoires, sa logique sont très bonnes. Comme je lui dis souvent, tu surpasses bien des jeunes qui sont aux portes de l’université. Pourtant, mon fils n’a toujours pas réussi à faire son français de secondaire 3.

    J’estime bien me débrouiller en français et ma femme excelle dans cette matière. Pourtant, elle comme moi, nous peinons à faire le français enseigné à notre fils. Je n’y vois qu’une seule raison: la méthode d’enseignement.

    Chaque fois que je la décortique, je ne peux me retenir de rager. Il s’agit d’une méthode conçue à un niveau d’abstraction si élevé que cela me semble convenir à très peu de gens. Certes pas à ceux qui ont des problèmes d’apprentissage ou qui voudraient combler cette lacune.

    Mon aversion est telle que je me retiens de ne pas inciter mon fils à la désobéissance et à faire son propre cheminement au lieu de se laisser tuer à petit feu.

    Par souci d’exemple, lisez cet extrait, tiré du site Allo-prof, qui est une ressource importante que je respecte mais qui doit aussi faire avec le système: « le prédicat de la phrase est non effaçable. S’il est effacé, la phrase n’a plus de sens et devient incorrecte. C’est pourquoi on dit que le prédicat est un constituant obligatoire de la phrase. »

    Vous voyez le genre? Et bien, sachez que ce n’est rien comparativement à tout le reste.

    De fait, quand je parle au prof de mon fils, il me dit… »il faut voir cela comme du par coeur. » Et moi de rétorquer: « Autrement dit, vous me dites que mon fils doit surtout s’investir à apprendre les définitions des parties constituantes de la phrase et parlez le jargon de la méthode pour passer? » Et la réponse étant: « Vous avez tout compris….monsieur le parent. » Et moi de rajouter, « vous savez que mon fils aime lire, écrire et qu’il le fait mieux que la grande majorité de la population, mais comme il a de la difficulté avec la méthode, on le cale pour cela. Cessa!??? »

    En passant, j’adore ce prof qui a beaucoup fait pour mon fils depuis les trois dernières années…

    Tout cela pour dire que si ce genre d’enseignement ne colle pas à mon fils, je suspecte que c’est aussi le cas pour une bonne partie du 53%.

    Concrètement, je sais que le problème de la réussite scolaire est plus large, mais j’en viens quand même à me demander si le 1% d’érudits qui dictent nos méthodes d’enseignement du français est vraiment le mieux placé pour décider du chemin à suivre pour la majorité. En fait, je vais cesser les politesses et dire que la réponse est non.

    En ce sens, j’appuie vivement la proposition que vous faites pour la mise sur pied d’un organisme indépendant d’évaluation de la performance scolaire. Surtout, si l’on stipule clairement que ces gens vont sortir dans la rue et questionner le 53% pour comprendre pourquoi ils sont rendus là et comment on aurait pu faire autrement.

    Quant à moi, leurs réponses, ainsi que celles des autres clientèles devraient être les statistiques dont on devrait être en train de parler à ce stade-ci.

    Entre-temps, je vous prie de m’excuser. Je dois googler les divers éléments de la phrase précédente, et bien d’autres d’ailleurs, si je ne veux pas passer pour un ignare aux yeux de mon fils. Mais surtout, je dois le faire pour prévenir son décrochage. C’est aussi cela l’effet-parent ces temps-ci.

    • Photo du profil de Mario Asselin Auteur
      Mario Asselin 7 années Il y a

      Je vous remercie pour votre contribution. Je viens de copier le lien vers votre commentaire ici, au bas du même billet publié au Journal de Montréal. On va voir si je vais obtenir plus de succès de cette façon 😉

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