L’austérité en éducation sacrifie-t-elle une génération ?

Note : Une première version de ce billet a d’abord été publiée au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».

J’ai participé hier soir vers 21 h 25 à un échange à la télé, invité que j’étais en compagnie de Boucar Diouf et de Sylvain Mallette par Marie-France Bazzo à un segment sur l’éducation de l’émission BazzoTV. Ce billet constitue en quelque sorte le recueil de mes notes, en préparation à ma visite sur le plateau.

Je rappelle la question qui nous était posée : « L’austérité en éducation sacrifie-t-elle une génération ? ».


Cliquez ici pour visionner l’échange d’une dizaine de minutes

On comprendra facilement que les propos qui ont réellement été tenus à l’occasion du segment se sont parfois éloignés de ces quelques notes.

La question porte sur l’austérité en éducation
Il y a tout un débat sur le choix du mot « austérité » pour qualifier le fait que le budget 2015-2016 en éducation n’ait été augmenté que de 0,2%, alors qu’un pourcentage entre 4 et 5 aurait été nécessaire pour couvrir les seuls « coûts de système ». J’ai traité de ce sujet dans un précédent billet publié le 24 septembre dernier, « Coupe, mais coupe égal ».

Je ne crois pas utile de « perdre » un temps précieux sur l’utilisation de ce vocable ce soir. Disons simplement qu’à l’échelle du budget de l’éducation préscolaire, primaire et secondaire qui a été fixé par le gouvernement à 9,26 milliards $, on constate une augmentation de 15,2 millions $ si on compare avec celui de 2014-2015. L’augmentation aurait dû être de 370 millions $ si on avait attribué le 4% des coûts de système. C’est donc 355 millions $ qui manquent. On peut appeler ça comme on veut, mais ça explique pourquoi on cherche de l’argent dans le système…

La question porte sur l’existence potentielle d’une génération complète d’élèves sacrifiés
Je crois qu’on pourra facilement s’entendre sur le fait que le débat doit surtout porter sur certains choix de coupures qui affectent directement les services aux élèves en général et les élèves en difficulté en particulier. Le premier ministre lui-même ayant admis du bout des lèvres que certaines coupures touchent les services en général et ceux aux élèves en particulier, je crois qu’on est autorisé à dire qu’on sacrifie certains services directs importants qui peuvent avoir de l’impact sur des élèves qui en auraient grandement besoin. C’est pas mal le plus loin que je pourrais aller.

Compte tenu de la présence du président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) devant moi et de la pré-entrevue en amont du tournage de l’émission, je dois m’attendre à ce que la « logique » actuelle des négociations en éducation soit au centre des échanges. Allons donc au point central de ce qui risque d’être l’angle avec lequel cette discussion se poursuivra…

L’atteinte du déficit zéro se fait-elle sur le dos des élèves, des profs et des écoles ?
Je crois que c’est cette question qui est sous-jacente aux « débats » de ce soir. Curieusement, c’est à peu près le titre d’un communiqué du 26 mars 2015 publié par la FAE : « L’atteinte du déficit zéro se fait sur le dos des élèves et des profs ». Mon point de vue est à l’effet que ce postulat est utilisé pour mieux servir l’actuelle négociation en cours.

La logique que les syndicats veulent nous faire avaler est qu’une bonne partie de la population en général, tous les parents et tous les profs en particulier sont contre l’austérité dans les écoles provoquée par la recherche de l’équilibre budgétaire et que donc, ils appuient les revendications syndicales face au gouvernement.

Il y a plusieurs raccourcis dans cette équation et ma perception est qu’on tente d’induire ce raisonnement dans l’opinion publique : bonnes conditions de travail du personnel enseignant = bonnes conditions d’apprentissage pour les élèves = réussite scolaire.

Il y a des gens parmi ceux nommés précédemment qui comme moi croient utile la recherche de l’équilibre budgétaire, qui croient qu’on n’aurait pas dû couper en éducation et qui ne veulent pas pour autant appuyer l’ensemble des revendications syndicales, encore moins le recours à la grève.

« La logique des négociations » passent donc souvent par dessus la vérité, même si elle paraît avoir beaucoup de bon sens…

Quand je lis cet article entourant le déclenchement d’une grève par certains professeurs, je crois que la volonté d’induire l’équation syndicale de toute à l’heure est claire. L’annonce d’aujourd’hui d’une autre journée de grève prévue le 27 octobre pour les profs de Québec ma paraît aller dans le même sens.

Quel est le lien réel entre la négociation actuelle et la réussite scolaire ?
J’ai publié hier un long billet qui porte sur ma compréhension de « la logique » derrière l’actuelle négociation. Je ne disposerai sûrement pas d’assez de temps pour aller en profondeur pour m’expliquer sur ce sujet, mais tentons de résumer mon propos.

En gros, quatre grands thèmes mènent ces négociations et divisent le gouvernement et les syndicats d’enseignants (4 pages de demandes côté gouvernement et 27 demandes côté syndicats) :

  • Les salaires
  • Le nombre d’élèves par classe
  • Le temps de présence des enseignants à l’école
  • Le régime de retraite

Regardons les enjeux des quatre thèmes sous l’angle de la réussite scolaire…
Salaires : Augmenter les salaires à l’entrée de la profession pourrait favoriser l’accueil de plus de candidats de grands talents dans les facultés universitaires d’éducation du Québec et ainsi favoriser la réussite scolaire. Une demande (la #18, «Abandonner les deux premiers échelons») va dans ce sens. Je ne vois pas clairement comment le fait de faire passer le salaire de la grande majorité des enseignants (ceux qui sont au sommet des échelons) et qui gagnent actuellement 76 486,29 $ à 92 542,44 $ dans cinq ans (source FAE), va améliorer la réussite scolaire. C’est l’argument le plus entendu des enseignants eux-mêmes d’ailleurs pendant les années 2012 et 2013 quand la CAQ proposait d’augmenter les salaires. Pour aider la réussite, on avait parlé alors de support direct dans la classe. À noter qu’un enseignant qui commençait à enseigner en septembre 2015 débutait à un salaire autour de 39 000 $ par année, un professionnel en communication (43 000 $), un médecin à sa 1re année de résidence (autour de 45 000 $), un ingénieur (47 000 $) ou un avocat / un notaire (63 000 $) gagnent tous plus qu’un prof.

Est-ce que tous les enseignants mériteraient les augmentations de salaires proposées par les syndicats selon moi ? Probablement. Peut-on se le permettre actuellement ? Je ne pense pas.

Nombre d’élèves par classe : Diminuer le nombre d’élèves par classe comporte un effet mineur selon les études (clairement identifiées dans ce billet), et ces effets se manifestent surtout dans les classes en milieux défavorisés ou qui regroupent plusieurs élèves en difficulté. Aussi, à ce moment, les enseignants dans ces classes doivent enseigner « différemment et développer diverses méthodes plus adaptées aux besoins des élèves » pour que les effets bénéfiques soient au rendez-vous.

Le temps de présence des enseignants à l’école : On ne me fera pas croire que moins de temps de présence à l’école pour les enseignants, ça favorise la réussite scolaire. Aussi, de mon expérience de directeur d’école, ça me paraît être une demande syndicale qui vient du secondaire, parce qu’au préscolaire / primaire, les profs entrent à l’école le matin et en sortent un peu avant l’heure du souper.

Le régime de retraite : Rien à voir avec la réussite scolaire ou si peu et à très long terme.

Je répète… Les coupures de services aux élèves sont réelles, mais elles viennent beaucoup des décisions de gestion des commissions scolaires, même si ultimement, c’est le gouvernement qui est responsable, d’autant que ça fait 18 mois que le gouvernement est au pouvoir. Il aurait pu faire vite pour changer les règles de gouvernance, il tatillonne.

Par exemple, pour ce qui est des élèves EHDAA, le 2,3 milliards $ prévu l’an dernier reste 2,3 milliards $ cette année, selon le gouvernement et plusieurs observateurs. Il manque quand même 92 millions pour couvrir les coûts de système que les commissions scolaires préfèrent trouver dans les services plutôt que dans leur machine. Je rappelle que les frais administratifs des CS sont encore à plus de 500 millions $. Il me semble qu’il n’aurait pas dû y avoir de longues hésitations à regarder où chercher. Juste l’annulation des élections scolaire récentes aurait dégagé 20 millions $. On a plutôt demandé à ceux qui ont ces 500 millions $ en frais administratifs de se couper eux-mêmes; ça n’a pas marché et on se demande pourquoi !

Je fais une différence avec le mouvement des chaînes humaines autour des écoles et les négociations 2015
Je l’ai écrit dans un billet publié récemment : « Le mouvement « Je protège mon école publique » pourrait apporter énormément au développement d’un fort sentiment d’appartenance à l’établissement scolaire s’il demeure un mouvement de parents, capables d’éviter l’instrumentalisation des enfants et suffisamment autonome vis-à-vis des syndicats pour éviter d’être récupéré.

Je n’ai pas vu ou entendu parler de chaînes humaines autour des édifices administratifs des commissions scolaires, à ce que je sache.

Les syndicats « coupent » aussi des services par les moyens de pression qu’ils privilégient. Cela sans compter les « opérations charmes » avec des élèves du secondaire.

Même au primaire, il y a de l’action de ce côté. Un enfant expliquait aux médias et à la population récemment dans un topo télévisé que le gouvernement n’était pas gentil et qu’il fallait faire des chaînes autour des écoles parce que ses activités préférées étaient coupées.

Ma position pourrait se résumer ainsi : Tout ce qui nuit à la mise en place de l’école autonome m’horripile et en cette matière, il faut remettre autant en question le pouvoir des commissions scolaires que celui des organisations syndicales. Le mur à mur privilégié dans les négociations de la convention collective ne fonctionne plus et il seraient grand temps d’essayer d’autres approches comme celles bien documentées des écoles plus autonomes. L’exemple des revendications actuelles (demande #3) des syndicats pour poursuivre encore la réduction des ratios jusqu’en 3e, 4e et 5e secondaire prouve qu’on souhaite faire davantage de ce qui ne marche pas et il n’est écrit nulle part que les classes où les jeunes réussissent bien en seraient exemptées.

N.B. J’ajouterai ici quelques autres notes si les échanges s’éloignent des sujets qui sont couverts par ce billet.

Suivi du lendemain : Il a été question de ce qui va bien en éducation… Dans ce billet, on pourra trouver la source de mon commentaire à l’effet que nous sommes 10e au monde sur 74. Dans les faits, nous serions 7e sur 74 en mathématiques (536 points), 9e sur 74 en lecture (520 points) et 13e sur 74 en sciences (516 points) si on se fie à l’analyse des tests PISA de 2012.

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