Le plus gros mensonge de l’école québécoise

Note : Ce billet a d’abord été publié au Journal de Québec et au Journal de Montréal dans la section « blogue ».

Il ne faudra pas compter sur les présentes négociations dans le secteur public en éducation pour corriger le principal mensonge du réseau scolaire au Québec : tous apprendre à la même vitesse dans une classe, c’est bien mieux !

Je ne dis pas qu’on fait exprès. Je ne dis pas non-plus qu’on ment sciemment aux élèves et à leurs parents.

Mais je crois tout de même qu’on passe sous silence un des principaux enjeux de la transformation de l’école québécoise après ces quinze premières années du XXIe siècle déjà franchies.

Encore aujourd’hui, on offre aux élèves qu’une seule vitesse pour apprendre dans une même classe… et les conséquences pour ceux et celles qui auraient besoin d’aller à une autre sont souvent désastreuses.

Un seul plan de match pour dix-huit bambins à la maternelle. Une seule planification d’activités d’apprentissage pour 26-28 enfants au primaire et encore trop souvent au secondaire, une même feuille de route pour la trentaine d’adolescents-es en classe.

L’exception, c’est de prévoir plusieurs chemins possibles au jour le jour. La règle dans les classes d’aujourd’hui, c’est de devoir s’astreindre à suivre la vitesse du déroulement du cours prévue par l’enseignant-e, pour le meilleur parfois, mais souvent pour le pire.

Pas étonnant dans ces circonstances qu’autant d’élèves décrochent ou que les problèmes de discipline et d’encadrement pullulent. Surtout, pas surprenant que tant d’élèves s’ennuient dans les classes des écoles du Québec.

« Apprendre sans plaisir rend sec, prendre du plaisir sans rien apprendre rend stupide. » – Richard David Precht

Bien sûr, il existe des classes où des enseignants procèdent autrement et trouvent le moyen de composer avec des rythmes d’apprentissage différents.

Mais je fais l’hypothèse que l’école des travailleurs de l’éducation n’est pas faite pour eux.

Je crois fermement que le système actuel n’encourage pas le recours à la différenciation pédagogique.

Je lisais ce matin cet entretien avec Richard David Precht, un philosophe allemand qui porte un jugement sévère envers l’école que fréquentent nos enfants. Je partage son avis sur bien des points, entre autres celui sur le fait que « l’enfant est naturellement d’une curiosité inouïe »…

« Or, que lui proposons-nous pour épanouir cette potentialité formidable ? De se forcer à s’intéresser à des matières éloignées de sa vie, qui le motivent de moins en moins et qu’il voit infiniment mieux traitées ailleurs. A partir de 12 ans, cela devient dramatique. La transmission est censée se dérouler lors de séances appelées « cours » qui durent un peu moins d’une heure (durée décidée par les moines du Moyen Age) et auxquelles il doit assister sans bouger. Double absurdité : on sait aujourd’hui que la capacité d’attention d’un enfant (et de beaucoup d’adultes) chute au bout de 20 à 30 minutes; d’autre part, l’immobilité physique du jeune humain est nocive à son fonctionnement cortical si elle dépasse un quart d’heure. Bouger est pour lui vital, la ­psycho-neuro-immuno-endocrinologie l’explique bien. »

Il m’arrive souvent de demander aux enseignants… et plusieurs me disent qu’ils sont en quelque sorte forcés d’entrer dans un moule que leur prescrit la convention de travail, l’organisation existante des classes et du cheminement scolaire exempte d’originalité et de créativité décidée par le temps passé sans que ce soit vraiment possible de remettre tout cela en question.

Des problèmes de ressource, bien souvent. Des pupitres qui datent de l’après-guerre et des bâtiments qui vieillissent mal. Mais aussi des mentalités qui sont figées dans le temps…

Il y a tant d’inertie dans la culture scolaire actuellement qui entre en jeu lorsqu’on veut faire différemment que la bataille pour faire autrement devient rapidement titanesque. Et on se range…

Pourtant, les milliers de nouveaux arrivants dans le système d’éducation chaque année et l’accès au numérique dès le plus jeune âge à la maison et partout ailleurs devraient réunir bien des conditions pour une remise en question profonde de nos pratiques du tout-le-monde-fait-la-même-chose-en-même-temps.

Qui plus est, l’explosion des cas de trouble d’apprentissage, de déficit d’attention ou de simple manque d’encadrement commande de faire différemment pour obtenir la réussite du plus grand nombre.

Manque de ressource, encore. Pas de soutien en classe et de la formation initiale ou continue inadéquate.

« L’école de l’avenir doit avant tout rallumer leur adhésion, et même leur enthousiasme », signale celui dont certains livres se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires. Richard David Precht est un passionné de sciences et les récentes découvertes sur le cerveau humain le passionnent. Ainsi, il observe que les systèmes scolaires occidentaux ont tendance à « trahir nos enfants ».

Les écoles « continuent à fonctionner, au fond, sur le modèle de la société industrielle, vieux de plus d’un siècle ».

Il invoque deux motifs pour « révolutionner l’école » et il n’est pas seul à utiliser ces arguments…

  1. « 70 % des métiers qu’exerceront les enfants qui entrent aujourd’hui à l’école n’existent pas encore – d’où la nécessité d’une éducation très différente, beaucoup plus ouverte à l’imagination et à l’intelligence relationnelle, conduisant à épanouir une curiosité polyvalente plutôt qu’une spécialisation de type industriel. »
  2. « L’école a perdu son monopole. Jadis, c’était l’endroit où l’enfant apprenait à connaître le monde. Aujourd’hui, nourri d’informations par mille autres biais, le digital native ne voit plus du tout l’intérêt d’aller s’enfermer dans ce lieu si peu excitant, qui ne suscite en lui qu’un mortel ennui. »

L’auteur de l’ouvrage Qui suis-je et si je suis combien ? y propose un voyage en philosophie. On en aurait grand besoin en éducation…

Voici une lecture qui tombe bien au moment où l’éducation et l’école ressentent l’urgence de revisiter les grands classiques et les grandes questions philosophiques en essayant d’actualiser ce qu’ils ont à nous enseigner dans le contexte d’aujourd’hui.

Je suis convaincu qu’à partir du moment où on tient compte des différentes vitesses auxquelles un groupe d’élèves peut apprendre, on augmente la possibilité de chacun à se sentir pleinement « en apprentissage » dans une classe. Les moyens pour y parvenir existent.

Ce sont ces nouvelles conventions collectives qu’il faudra négocier entre nous, en enseignement, pendant l’année 2016 !

Tags:
1 Commentaire
  1. Photo du profil de elkolli
    elkolli 7 années Il y a

    Depuis 50 ans, la société connait de rapides et profonds changements dans les références et par conséquent dans les pratiques éducatives. Cette accélération nous donne l’impression d’être dépourvu de solutions adéquates et nous condamne à puiser dans des modèles répétitifs du type «prêt à porter» pour répondre aux besoins de nos jeunes. Aujourd’hui, l’école se trouve à de devoir «bricoler», «recomposer» alors qu’il faudrait recréer et réinventer l’éducation. C’est vrai on ne sait pas trop ce que nous réserve l’avenir, ce que seront les métiers de demain, mais les TIC sont là et sont entrain de créer de nouvelles générations. Elles modifient les notions de temps et de distance. Les murs des salles ne sont plus là et ont laissé place à une seule classe à ciel ouvert. Une intégration, judicieuse et partagée de tous les acteurs du milieu, de ces TIC dans un écosystème de l’apprentissage ne peut que permettre à l’école d’être congruent avec tous ces changements.

Laisser une réponse

Contactez-moi

Je tenterai de vous répondre le plus rapidement possible...

En cours d’envoi

Si les propos, opinions et prises de position de ce site peuvent coïncider avec ce que privilégie le parti pour lequel je milite, je certifie en être le seul éditeur. - ©2022 Thème KLEO

Vous connecter avec vos identifiants

ou    

Vous avez oublié vos informations ?

Create Account

Aller à la barre d’outils